Dans le contexte de réduction des émissions de carbone, la durabilité des tuiles terre cuite est un atout non négligeable, puisque parfaitement adaptées à la réutilisation. Les tuiliers s’efforcent de structurer la filière et les techniques de réemploi. Ce, dans le cadre de la REP (Responsabilité élargie des producteurs) pour les déchets du bâtiment.

C’est en 2012 que le Centre technique de Matériaux naturels de construction (CTNMC) a commencé à s’intéresser au réemploi des tuiles en terre cuite. « Cela a débuté par une étude confiée par l’Agence de la transition écologique (Ademe) sur la démontabilité des solutions constructives (Démodulor, ndlr) », se souvient Olivier Dupont, directeur général adjoint du CTNMC. Dès lors, des réflexions sur la réemployabilité des tuiles ont émergé.

 Les tuiles terre cuite mises en œuvre aujourd’hui pourront être réemployées demain. Maison de santé à Vézelay (89) – Bernard Quirot architecte et associés.
Photo : Luc Boegly

Mode d’emploi du réemploi

En effet, si la méthode de démontage des toitures et donc des tuiles est bien établie, qu’en est-il du diagnostic de réemployabilité ? Des initiatives du CTNMC, en collaboration avec le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et la Fondation Bâtiment Energie, visent justement à mieux définir le cadre en améliorant les connaissances techniques sur l’aptitude au réemploi des tuiles. « C’est un enjeu majeur pour rassurer les maîtres d’ouvrage, surtout dans le cas de grandes opérations où les contrôleurs techniques exigent des justificatifs de conformité réglementaire et de performances techniques des produits », souligne Olivier Dupont.

Il y a trois ans, le centre technique a publié un guide dans le cadre d’une démarche de la Fondation Bâtiment Energie. L’objectif était de fournir une méthodologie de diagnostic et d’évaluation des performances pour le réemploi des tuiles en terre cuite. En d’autres termes, ce document décrit une méthode d’analyse du bâtiment existant, afin d’évaluer son potentiel de ressources réemployables. « Il s’agit tout d’abord de collecter et d’échantillonner, afin de réaliser des mesures et des évaluations des performances résiduelles des matériaux », explique Olivier Dupont. Une seconde étape consiste à effectuer des prélèvements et une série de tests pour caractériser l’aptitude au réemploi des tuiles dans un nouveau bâtiment.

Le CTNMC estime que, lors d’une déconstruction de toiture, jusqu’à 80 % des tuiles peuvent être réutilisées.
Photo : CTNMC

80 % de tuiles réemployables

 

« Dans la pratique, environ 80 % des tuiles peuvent être réutilisées lors de travaux de rénovation », selon Olivier Dupont. Ce sont les couvreurs qui assument la responsabilité de décider de la réutilisation sur le chantier, en se basant sur leur expérience et en évaluant les performances des tuiles. Une fois retirées, ces dernières sont stockées en vue d’un réemploi ultérieur. Il est estimé que ce stock pourrait couvrir entre 10 et 20 % du marché de la rénovation, bien que ce dernier soit très dispersé et qu’il soit difficile de fournir des données précises – notamment parce que « ces produits ne suivent pas un circuit de distribution traditionnel », explique le directeur général adjoint du CTNMC.

Photos : Ecocampus Alogea / Seuil architecture cOrigin Creative Agency

Sur ce point, les choses devraient prochainement évoluer. La loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec) du 10 février 2020 a introduit la mise en place d’une filière de responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les déchets issus du secteur du bâtiment. Entrée en vigueur le 1er mai 2023, cette loi étend la responsabilité des entreprises à la gestion de la fin de vie des produits et matériaux disponibles sur le marché français. Son objectif est de favoriser le recyclage et la valorisation des déchets du bâtiment,et de promouvoir le réemploi. Dans ce cadre, les fabricants de tuiles, considérés comme producteurs de déchets, devront payer des écocontributions à des éco-organismes chargés de mettre en place des plateformes dédiées au recyclage et au réemploi de ces produits. La REP instaure également une écomodulation de l’écocontribution afin d’encourager ces mêmes fabricants à améliorer la gestion et la valorisation de leurs produits en fin de vie. Plus concrètement, le montant de leurs contributions peut être réduit si leurs produits répondent à cinq critères : durabilité, démontabilité, aptitude au réemploi, aptitude au recyclage et concentration réduite en produits dangereux. « Tout cela vise à surmonter les principaux obstacles au réemploi et à établir des normes techniques solides pour garantir l’assurabilité des ouvrages aussi facilement qu’avec des produits neufs », conclut Olivier Dupont.

Lucien Brenet

Réutilisation et réemploi, est-ce la même chose ?

Le CTNMC fait une distinction entre les tuiles de réemploi – lesquelles sont de nouveau mises en œuvre sur les toits – et celles destinées à la réutilisation dans d’autres applications, en façade par exemple. « Lorsque l’on utilise une tuile comme matériau de couverture sur un toit, des garanties techniques doivent être fournies, notamment en termes d’étanchéité. En revanche, pour une fonction décorative sur une cloison, les exigences sont moins strictes », explique Olivier Dupont.

Tuiles de « réemploi » en façade

L’École supérieure de La Raque, à Lasbordes (Occitanie), forme 300 étudiants dans les domaines de l’agronomie, de l’eau et de l’environnement. Le bailleur social Alogea et le cabinet Seuil Architecture, sélectionné par concours, doivent répondre à une problématique délicate. « Les étudiants se trouvaient dans une situation précaire ; ils dormaient dans un vieil internat ou logeaient chez des habitants des environs », raconte Leslie Gonçalves, cofondatrice de Seuil Architecture. De là, naît un projet de construction de 80 logements au cœur d’un environnement naturel et rural. Le bailleur social Alogéa imagine un programme d’aménagement qui favorise l’utilisation de matériaux locaux, biosourcés et issus du réemploi, afin de respecter à la fois le paysage et les objectifs pédagogiques de l’école. Réduire le gâchis à tout prix Pour les façades, les architectes ont fait le choix de la mixité : enduit à la chaux et façade ventilée avec un revêtement en tuile terre cuite. Problème : « Comme nous souhaitions adopter une approche bas-carbone, l’utilisation de la terre cuite était très pénalisante en raison de la quantité d’énergie nécessaire à sa production. » Le cabinet d’architectes décide alors de faire appel à Terreal pour s’approvisionner en tuiles plates déclassées et en tuiles neuves dans les usines locales du fabricant.  Si les tuiles de second choix ou hors calibre présentent quelques défauts esthétiques, leurs caractéristiques techniques sont conformes et adaptées au projet, ce qui a permis leur réutilisation. Elles recouvrent 50 % des façades, le reste ayant été réalisé avec des produits neufs. Mais alors, peut-on parler de réemploi alors que ces tuiles ne proviennent pas d’un chantier de déconstruction ? Leslie Gonçalves ne fait pas de distin­ction. « Nous voulons réemployer tout ce qui est possible de l’être et de manière non limitative. Notre préoccupation est, avant tout, de réduire le gâchis à tout prix », justifie-t-elle. Fabriquées localement, les tuiles neuves de la toiture sont coordonnées à la façade.

Un guide pour réemployer la tuile terre cuite

Sous l’égide de la Fondation bâtiment énergie (FBE), association reconnue d’utilité publique créée par ArcelorMittal, EDF, GRDF et LafargeHolcim, avec le soutien financier des pouvoirs publics et le support technique de l’Ademe et du CSTB, le CTNMC a participé, avec d’autres acteurs de la construction, à la rédaction du Guide de méthodologie de diagnostic et d’évaluation des performances pour le réemploi des tuiles en terre cuite. L’ouvrage propose une méthodologie de diagnostic de ressources sur bâtiments existants et de caractérisation des performances in situ, ou après dépose des tuiles de terre cuite issues d’un ouvrage existant en perspective d’un réemploi. Le guide est en accès libre sur le site du CSTB.

 

Cet article est extrait du magazine 5Façades 161 disponible sur Calameo.