L’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 ne pourra être atteint sans une réflexion profonde et globale sur la façon de concevoir la ville et ses constructions. C’est un changement de culture, qui implique de s’intéresser à l’urbanisme, à la conception des ouvrages, aux matériaux à moindre impact carbone et à la relocalisation grâce à l’économie circulaire. Si l’on considère l’enveloppe, cela implique l’utilisation de matériaux biosourcés et géosourcés, ainsi qu’une bonne part de végétalisation.

Dossier réalisé par Stéphane Miget

Construire bas-carbone avec les matériaux biosourcés

Modifier radicalement nos pratiques constructives à travers le prisme bas-carbone, c’est la condition sine qua non pour répondre à l’urgence climatique. Alors, avant que nos villes ne deviennent des fournaises, un sérieux coup d’accélérateur s’impose, notamment dans la création d’enveloppes nature.

 

 Office national des forêts (ONF), à Maisons-Alfort (94) – Vincent Lavergne Architecture + Atelier WOA : à travers ce bâtiment à ossature bois, l’ONF souhaitait promouvoir les technologies de la construction-bois et valoriser les savoir-faire de la filière.
Photo : Sergio Grazia

Changement culturel

 

Plus radical peut-être, Emmanuel Pezrès, architecte et directeur de recherche et innovation territoriale à la mairie de Rosny-sous-Bois, s’exprimait également sur ce même plateau. Et d’expliquer que, face aux problématiques d’urbanisme et de construction bas-carbone, il faudra, il faut « être le moins prédateur possible de notre environnement, voire l’améliorer. Pour cela, nous devons nous séparer de toutes les machines compliquées, revenir à des choses très basiques tout en étant performants, utiliser le plus possible des matières renouvelables, mais aussi penser à les renouveler et aux conditions de leur renouvellement.

 

 Ecole de Boutours, à Rosny-sous-Bois (93) – Fanny Mathieu et Emmanuel Pezrès architectes : ce programme se caractérise par son mode constructif bois-paille et ses tours à vent dédiées à la ventilation naturelle des locaux.
Photo : C Picard

Nous utilisons du bois, nous coupons la forêt, donc il faut la recréer (…) Il faut aussi toujours repenser l’interface avec l’utilisateur, car la technique ne fait pas tout. Et au-delà de celle-ci, le changement impérieux est culturel. » Depuis ces deux interviews, la prise de conscience s’est accélérée, même si elle reste insuffisante : non seulement il importe de repenser les pratiques constructives à travers le prisme bas-carbone, mais il faut aussi de plus en plus penser proximité et économie circulaire.

Et il y a urgence ! Le réchauffement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre (GES) est avéré et va même au-delà des scénarios envisagés lors de la COP 21 de Paris, en 2015. Dans ces conditions, une accélération est nécessaire pour urbaniser, aménager et construire de façon plus soutenable, et se mettre en ordre de marche pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050. Recentrer la construction au niveau local en développant les filières industrielles et l’économie circulaire s’avère essentiel pour gagner la bataille du bas-carbone.

Confort et renouvellement d’air

Pour y parvenir, les matériaux biosourcés et parfois géosourcés – la terre crue notamment – sont en première ligne. La loi et la RE2020 vont dans ce sens, même si d’aucuns regrettent que la réglementation reste timorée. Sa principale avancée porte sur la prise en compte de l’impact carbone et sur le calcul de l’Analyse dynamique du cycle de vie du bâtiment (ACV) sur cinquante ans. Indéniablement, les matériaux biosourcés et géosourcés sont favorisés par ce calcul puisqu’il intègre l’impact carbone au moment de la construction. Or, ces matériaux ont l’avantage d’être renouvelables et d’avoir un faible, voire très faible, impact en énergie grise. Leur effet stockage de carbone est immédiat, dès la construction, donc en parfaite adéquation avec le contexte d’urgence climatique.

Record des records, la paille : c’est un coproduit de la culture de céréales (blé, orge, avoine, seigle, etc.) qui plus est disponible à profusion près des chantiers. Autre bataille à gagner : celle du confort des occupants, notamment en été. Et seuls des modes constructifs adaptés seront en mesure d’écrêter les pics de chaleur attendus dans les villes. En effet, il est à craindre que les systèmes classiques de protection (stores, brise-soleil…) ne suffisent pas. En revanche, les matériaux biosourcés permettent de construire des parois perspirantes, lesquelles laissent passer la vapeur d’eau et ont une capacité de déphasage intéressante pour le confort d’été. Autre atout : en cas d’infiltrations d’eau accidentelles, elles sont à même de retrouver sans intervention leur équilibre. Mais attention, il y a des règles à respecter et des calculs à réaliser.

La paroi doit être étudiée de manière à supprimer tout risque de condensation à l’intérieur. Première règle : la valeur Sd (résistance à la diffusion de vapeur d’eau) de la première couche doit toujours être trois à cinq fois supérieure à celle de la couche suivante. Attention également à la ventilation du local, indispensable à la santé des occupants. Ces parois, bien que perspirantes, ne peuvent assurer le renouvellement de l’air intérieur, car elles ne sont pas en capacité d’évacuer le CO2 : les molécules, plus grosses que celles de la vapeur d’eau, ne peuvent tout simplement pas passer ! 

 Ehpad, à Vaucouleurs (55) – Studiolada architectes : ce projet d’extension de 300 m2 se distingue par son mode constructif qui allie, en façade, structure bois (biosourcé) et pierre locale (géosourcée).
Photo : Studiolada

Bois et biosourcés, un mariage heureux

Le premier élément d’une enveloppe nature, perspirante ou pas, est la structure. Et les différents systèmes constructifs bois disponibles (poteaux/poutres, poteaux/dalles, ossature bois, bois/béton…) ont une carte à jouer. Ils répondent aux contraintes et réglementations en matière de sécurité incendie, d’isolations acoustique et thermique, à travers des solutions génériques et évaluées. Le bois s’impose grâce à ses qualités constructives, comme la légèreté, une inertie moyenne, la possibilité de préfabriquer, la rapidité d’exécution et des chantiers à faibles nuisances.

Aujourd’hui, les évolutions sont dans l’intelligence de la conception, en jouant sur deux leviers : le mariage du bois et des matériaux biosourcés – les isolants notamment –, et la réduction de matière. Sur ce dernier point, il s’agit d’utiliser le bois, non plus en substitution au béton, mais comme une option technique pour construire avec moins de matériaux. Le bilan sera d’autant plus positif si les bois utilisés sont d’origine locale. Y recourir est aussi un moteur de l’innovation, qui favorise le développement de nouveaux procédés, selon les caractéristiques propres. Au chapitre des produits, la filière bois est certainement, à ce jour, la plus structurée.

Les isolants à base de fibres de bois s’inscrivent à la fois dans une approche de développement durable en exploitant des ressources renouvelables et en respectant, tout au long de la vie du produit, l’environnement, mais aussi dans une démarche de certification des produits. Désormais, les fabricants les soumettent systématiquement aux critères de la certification Acermi. Leur résistance au feu est également testée.

Quant à la paille et au chanvre, ils commencent à bien s’installer, y compris dans la construction d’ERP. Dans les deux cas, des règles professionnelles ont été rédigées et les produits testés sous toutes les coutures : feu, propriétés thermiques, acoustiques, tenue dans le temps… D’autres filières de coproduits agricoles – colza, lin ou encore miscanthus – sont en train de se mettre en place. Des plantes fibreuses qui peuvent, à l’instar du chanvre, être utilisées pour la réalisation de divers matériaux de construction : béton léger, enduit, chapes, torchis, isolant… Et preuve que les produits biosourcés intéressent, la majorité des grands industriels d’isolants conventionnels en fabriquent désormais, soit directement, soit après avoir racheté des PME de la filière biosourcée.

Végétaliser n’est plus une option

La végétalisation des façades et des toitures apporte des réponses plus que pertinentes en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Et sort, du coup, du registre anecdotique.

 Façade végétalisée du siège d’Alcatel-Lucent – Réalisation Le Prieuré : sur l’ossature autoportante, créée sur mesure, est fixée la palette végétale. Soit, sur 130 m2, 460 bacs précultivés six mois en pépinière et 4 600 plantes.
Photo : Le Prieuré

Limitation des surchauffes

Comme les matériaux biosourcés, le contexte réglementaire (RE2020) lui est favorable. Mais la loi Climat et Résilience va plus loin en imposant des systèmes de végétalisation ou photovoltaïques sur au moins 30 % de la toiture pour les bâtiments industriels, logistiques et entrepôts de plus de 500 m² d’emprise au sol. Si les installations solaires sont aujourd’hui privilégiées par les concepteurs, la végétalisation saura s’imposer en raison de ses qualités intrinsèques. Et rien n’empêche de prévoir des installations qui couplent les deux systèmes. En matière de confort pour les occupants et d’économies d’énergie, les atouts de ces toitures sont désormais bien connus : isolation phonique (un substrat de 12 cm d’épaisseur peut réduire les bruits aériens de près de 40 dB), confort thermique et économies d’énergie en raison du renforcement de l’inertie de la construction.

En été, la végétalisation permet de réduire fortement les besoins en climatisation en protégeant des surchauffes : 70 à 90 % d’énergie transmise en moins par rapport à une toiture nue. Une membrane de toiture exposée au soleil, lit-on dans la documentation technique de l’Association des toitures et des façades végétalisées (Adivet), peut atteindre une température de surface de 65 °C, alors que cette même membrane, recouverte de végétaux, restera à une température entre 15 et 20 °C. Elles améliorent ainsi le confort intérieur d’un bâtiment de 2 à 3°C en été, le phénomène d’échauffement de la structure disparaissant. En hiver, l’impact sur les consommations de chauffage n’est pas neutre, même s’il est moindre par rapport à celui sur la climatisation.

Rafraîchissement urbain

Les autres bienfaits de la végétalisation sont liés à l’environnement. Citons : la gestion des eaux de pluie, notamment en milieu urbain extrêmement minéralisé, et donc imperméabilisé ; le rafraîchissement urbain, donc la qualité de vie en ville ; la biodiversité sur ce plan, les toitures végétalisées assurent la continuité de trames vertes en milieu urbain, utiles à son développement et à sa préservation. Aujourd’hui, les maîtres d’ouvrage ne se contentent plus de mettre en œuvre un tapis végétal extensif ou semi-extensif. Ces derniers, certes intéressants pour les bâtiments industriels et commerciaux des zones d’activités, n’apportent pas vraiment les effets escomptés en centre-ville. Car il ne s’agit plus simplement de végétaliser, mais bien de « biodiversifier », de rafraîchir, voire d’utiliser les espaces – c’est l’idée des jardins partagés ou de la ferme urbaine sur les toits. La mise en œuvre est aujourd’hui définie par les « règles professionnelles pour la conception et la réalisation des terrasses et toitures végétalisées ». Règles qui définissent les différentes familles de végétalisation – extensive (culture légère de faible épaisseur), semi-intensive (complexe léger d’épaisseur moyenne), intensive (toiture-jardin en forte épaisseur) – et les dispositions constructives y afférant. Autre point crucial, ladite mise en œuvre doit être l’affaire d’entreprises qualifiées.

Bien sûr, structure et support devront être dimensionnés en fonction de la solution retenue et de l’épaisseur du substrat. Sur ce plan, l’Adivet constate, depuis une dizaine d’années, un renouveau des produits avec, à qualité égale, un allègement des substrats. Ce qui assure une plus grande maîtrise des cultures hors sol et autorise le développement de systèmes d’agriculture urbaine. Autres points tout aussi essentiels pour le maître d’ouvrage, l’impact paysager de sa construction et la valeur verte, intimement liés. La végétalisation d’une façade ou d’une toiture apporte une dimension esthétique, mais aussi une plus-value au bâtiment. Condition sine qua non pour un bon développement des végétaux, l’entretien et l’irrigation. Depuis 2017, un point d’eau en toiture est obligatoire, les substrats n’ayant pas une grande capacité de rétention. Un arrosage, au moins ponctuel lors des périodes de canicule et de sécheresse, est donc absolument nécessaire. L’idéal étant de prévoir en même temps un système de récupération d’eau…

La terre, matériau naturel par excellence

Ce fut l’un des matériaux parmi les plus utilisés dans la construction. C’est aussi celui qui a probablement le plus souffert de l’industrialisation et de la perte des savoir-faire. Zoom sur la terre crue.

 

 Future Folie d’Emmanuelle Gautrand, à Montpellier. Sur la base d’une structure porteuse primaire en béton bas-carbone, toutes les structures secondaires et les façades seront en terre coulée. Terre excavée du site et préparée sur place avec une centrale dédiée « béton de terre ».
Photo : Emmanuel Gautrand.

Adobe, pisé, torchis, enduit, ces techniques, idéales pour réaliser une enveloppe nature, ne demandent qu’à revivre. D’autant qu’elles sont totalement en phase avec les exigences environnementales : peu ou pas de transport (ressource prélevée sur le chantier), peu ou pas de consommation d’énergie grise, des qualités d’inertie et de régulation de l’humidité qui augmentent la sensation de confort, notamment celui d’été. Elle offre donc toutes les caractéristiques d’un matériau à changement de phase.

Séculaire, le pisé est la technique qui se rapproche le plus des bétons coulés en place. Ce qui lui ouvre des perspectives d’avenir dans l’utilisation des terres d’excavation…
Photo : Philippe Dureuil

Valorisation de la terre d’excavation

La redécouverte de la terre crue est portée par des architectes, des concepteurs, et aussi par des entreprises souvent militantes qui l’ont remise sur le devant de la scène. Pour preuve, industriels et majors s’y intéressent de très près, à l’instar de ce qui s’est passé pour la construction bois il y a une quinzaine d’années. Leur intérêt concerne notamment la terre d’excavation. En effet, disponible localement sur l’ensemble du territoire, sans danger et non transformée chimiquement, elle s’impose comme une matière première qui a toute sa place dans la construction durable. Ainsi, avec ses grands projets d’aménagement, le Grand Paris s’attache à valoriser la terre issue des chantiers d’excavation comme matériau de construction – à condition, bien sûr, qu’elle présente des caractéristiques techniques conformes aux normes du bâtiment.

Elle peut aussi être récupérée et valorisée directement sur le site du futur projet. Cela dit, l’objectif de la filière est avant tout d’accroître la confiance des différents acteurs et de prouver scientifiquement les vertus de la construc­tion en terre crue en matière d’environnement et de santé (FDES, confort…), et également de proposer des essais et procédures pour la caractérisation de ces techniques. L’idée étant de mettre en place un cercle vertueux d’amélioration de la qualité des produits régionaux en terre crue, via le partage et le retour d’expériences. Il ne s’agit pas de remplacer le béton, mais de trouver des mises en œuvre responsables et adaptées. D’autant plus que les propriétés de la terre crue sont renforcées lorsqu’elle est mélangée à d’autres matériaux (paille, chanvre, fibres de cellulose…). Qui dit mieux ?

Cet article est extrait du magazine 5Façades 160 disponible sur Calameo