Trait d’union entre Paris et Clichy, le Stream Building semble prêt à franchir le périphérique. Squelettique et scintillante, sa figure de proue, signée Pablo Valbuena, signale son arrivée dans le tout nouveau quartier de Clichy-Batignolles, dans le nord-ouest parisien. Derrière une façade géométrique assumée, des bureaux, un hôtel et des commerces s’intercalent comme dans un immense jeu de Tétris.

Photo : Pablo Valbuena

Réponse à l’appel d’offres de la ville de Paris, en 2014, pour « réinventer la ville », le Stream Building, lauréat parmi 45 candidats, est plus qu’un bâtiment. Il incarne la notion du vivant dans l’architecture. Prototype du pôle recherche de PCA Stream, il fait le pari d’espaces hybrides pour des usages multiples et se teste sur un couloir de biodiversité grandeur nature.

Il a choisi le bois, rien que le bois, ou presque : « C’est un matériau biosourcé. Non seulement, il contribue à réduire l’empreinte carbone, mais des études physiologiques ont également montré que travailler dans une ambiance où domine le bois diminue la tension et le stress au travail », explique Laura Bouday, architecte qui a suivi le chantier pour PCA Stream.

Et pour enfoncer le clou, la charpente de bois, livrée à l’inspiration d’un artiste, devient une œuvre d’art qui se donne en spectacle : « Cette idée est le prolongement de l’histoire du bâtiment, elle crée un dialogue entre l’art et l’architecture. » Bâtiment « manifeste », il concrétise les idées futuristes que l’équipe de PCA Stream a derrière la tête : un bâtiment actif, précurseur du comment vivre en ville.

Mélèze, épicéa, pin, douglas : 1 820 m3 de bois, dont environ la moitié issue des forêts françaises. Les chutes sont transforméesen panneaux de particules ou briquettes, et valorisées en biomasse pour le chauffage de l’usine Mathis.
Photo : Jean-Philippe Mesguen

La ville du quart d’heure

Transport, travail et courses à moins d’un quart d’heure. L’idée est dans l’air du temps et n’a pas échappé à l’équipe de PCA Stream dans la conception du bâtiment de la porte de Clichy. À même le parvis, un parking à vélos de 200 places, 20 seulement pour les voitures. Le ton est donné. En guise d’accueil, le Stream café, un salon bibliothèque spacieux et lumineux pour la détente, les réunions de travail et l’accueil des associations locales. Puis, facile d’avaler les larges escaliers baignés de lumière naturelle, pour accéder aux cinq étages de bureaux. Soit des surfaces ouvertes et flexibles qui s’agencent selon les besoins, en demi-plateaux, sur plusieurs étages ou en coworking. Elles ont été confiées à OVN-Cloud, spécialiste français du cloud computing, la gestion des données informatiques à distance.

Tout en haut, en accès direct par ascenseur, les trois étages des 109 lofts « de vie et de travail » de l’hôtel Zoku – « famille » ou « tribu » en japonais. Un concept venu des Pays-Bas, le premier réalisé ici, en France. Lit en mezzanine, escalier escamotable pour agrandir la pièce pendant la journée et salon-cuisine, bref du sur-mesure pour les nouveaux travailleurs nomades.

Tout un petit monde qui, du rez-de-chaussée au huitième étage, se croise dans des espaces partagés, coworking, fitness, game-room, restaurant cuisine ouverte et terrasse en rooftop. Sur le socle de cette fourmilière, tout ce qui manquait dans le quartier : superette, bar à salades, sandwicherie, brasserie. Avec, en plus, l’adhésion des habitants via une consultation citoyenne.

Instrument de la ville de demain, le Stream Building joue une nouvelle partition dans un quartier en devenir. Entre un parc de 10 hectares et l’audacieux tribunal de grande instance de Paris.
Photo : Salem Mostefaoui
La faille végétale sur toute la hauteur de la façade sud fait le lien entre la toiture potagère et la couverture de houblon côté est, formant ainsi un corridor de biodiversité.
Photo : Olivier Ouadah
Une trame unique qui évoque une œuvre minimaliste, façon Sol LeWitt. Les caissons carrés assurent harmonie à l’extérieur et luminosité dans les espaces intérieurs.
Photo : Salem Mostefaoui
Un loft de l’hôtel Zoku où le lit se fait discret pour être un lieu de travail en journée. À chaque étage, un espace, avec vaisselle d’appoint, aspirateur et produits d’entretien, est à disposition.
Photo : Ewout Huibers

Réversible et préfabriqué

Le Stream Building se distingue par sa réversibilité. D’une seule trame unique de 3,60 x 3,20 m, il peut accueillir des usages multiples et interchangeables. Transformer les trois étages de l’hôtel en bureaux, et inversement, au choix et tous classés ERP. D’où la nécessité d’un assemblage particulier. L’idée est de stabiliser la partie centrale, ascenseurs et escaliers, grâce à un noyau en béton et, à partir de là, construire une structure en bois. D’où les six niveaux de bureaux en poteaux-poutres bois apparent avec une dalle de compression en béton : « Nous avons eu beaucoup de chance. Le permis de construire datant de 2018, nous avons échappé à la doctrine bois de 2021 qui nous aurait obligés à l’encapsuler et donc à le cacher. »

En revanche, les poutres en CLT (bois lamellé-croisé) des trois niveaux de l’hôtel ont dû être coffrées, en raison de contraintes acoustiques plus drastiques. Avantage : cela a permis de passer les réseaux, ventilation et gaines, entre les solives et de gagner en hauteur. Autre choix, à l’heure de la sobriété et des économies d’énergie, le préfabriqué qui limite la durée du chantier et réduit ainsi les nuisances sonores et environnementales. Sont concernés les modules de façade et les planchers livrés tout prêts, ainsi que les salles de bains de l’hôtel. Etudiés en amont, ces prototypes sont arrivés sous forme de blocs fermés avec leur porte et ont été posés dans chacune des 109 chambres.

 Synthèse de la recherche de PCA Stream, le Stream café marque l’entrée du bâtiment et fait office d’accueil. Sur les murs, des pages de la revue « Stream » de l’agence d’architecture spécialisée dans les mutations urbaines de demain.
Photo : Salem Mostefaoui
 Agroécologie sur la toiture avec arrosage automatique dans 20 cm de terre. Framboises, artichauts et plantes aromatiques pour donner des idées de menu au chef du restaurant. Une expérience de biodiversité urbaine pour préserver abeilles et insectes en tous genres.
Photo : Salem Mostefaoui

 

Un corridor de biodiversité

Conforme à l’état d’esprit du laboratoire de PCA Stream, le bâtiment des Batignolles se veut « métabolique » – le plus proche possible de la nature et du vivant. Sur le modèle des haies dans les campagnes qui attirent oiseaux et insectes, une faille végétale composée d’une trentaine d’espèces grimpantes parcourt la face sud du bâtiment en son milieu. Côté sud-est, 80 pieds de houblon sont plantés dans des bacs suspendus depuis la toiture. L’houblonnière assure la fonction de barrière thermique – de l’ombre en été, de la lumière en hiver.

Récoltée à l’automne, elle produit aussi la Stream Beer, brassée en sous-sol : 20 000 litres consommés sur place, chaque année. Du circuit-court jusque sur le toit, où un potager de 300 m2 fournit le chef du restaurant, été comme hiver, en aromates, jeunes pousses et légumes du moment. Sur 20 cm de terre sans produits chimiques, cette agriculture urbaine est censée absorber les eaux de pluie et servir en partie de bouclier thermique.

En outre, 400 m2 de panneaux solaires (10 % de l’énergie du bâtiment) viennent compléter cette toiture bonne élève de la transition énergétique. Et pour boucler le cycle actif de ce bâtiment, tous les déchets produits par la structure sont collectés et compostés, afin de servir de fertilisants pour les différentes plantations. Une expérience de biodiversité qui devrait faire l’objet d’un suivi sur dix ans.

Josée Blanc-Lapierre

 L’accueil de l’hôtel Zoku s’effectue au 8e étage et débouche directement sur le toit-terrasse, avec vue à 360° sur Paris et sa périphérie.
Photo : Ewout Huibers

Blocs-façade, ouverture à pantographe

 

Les modules de 3,60 x 3,20 m, composés de trois pans de vitrage sont préfabriqués chez le spécialiste français Rinaldi. Ils représentent un total de 550 unités, dont 150 dotées d’un châssis différent pour des cas particuliers comme le survitrage, des ouvrants de désenfumage ou avec garde-corps. Originalité, une ouverture pas très courante, appelée à « pantographe » ou encore à « projection parallèle » : le châssis vitré s’ouvre sur toute sa hauteur de façon parallèle à la façade nord : « Depuis le périphérique, cela crée un jeu de volumes qui rythme le bâtiment et lui donne vie en fonction des usages. »

 

Stream building structure.
Schéma : PCA Stream

D’une tonne chacun, ces modules sont acheminés par grue sur site, puis fixés avec des crochets implantés au droit des poteaux de la structure bois. Ces profilés en alliage d’aluminium avec rupture de pont thermique offrent une avantageuse protection contre le froid. Le vitrage isolant, qui fait fonction de garde-corps, comprend une couche de protection solaire en face 2, renforçant l’effet du store toile extérieur (Sgs=0.10 en été et Sg=0.36 en hiver). Le poids du vitrage est lié à une isolation acoustique exigeante, en raison de la proximité du périphérique et du boulevard qui longe la façade sud-ouest. Affaiblissement acoustique moyen ≥ 40 dB pour les bureaux, ≥ 42 dB pour l’hôtel.

La façade est blanche au sud ce qui évite la surchauffe du bâtiment en été, alors qu’elle est grise côté nord avec ses fenêtres à ouverture en « pantographe ».
Schéma : PCA Stream
Détail façade.
Schéma : PCA Stream

« M’engager et être très présente, c’est ma vision de mon rôle sur un chantier. L’idéal est d’arriver à fédérer les équipes autour d’un même projet. Que chacun – maître d’œuvre, maître d’ouvrage, entreprises, clients – ait envie d’aller dans la même direction, malgré des contraintes différentes. C’est la clé de la réussite et je dois dire qu’avec Stream, on a eu cette chance. On a pu réaliser un travail d’équipe dans le respect et à l’écoute de l’autre, tout en gardant une grande lucidité sur les enjeux d’un tel projet. Car celui-là est emblématique.

Il est né d’un long processus de réflexion sur ce que sera la ville de demain et ma grande satisfaction est d’avoir porté les innovations prévues de la conception jusqu’à la livraison du bâtiment, six ans plus tard. Parmi ses points forts dont nous sommes fiers chez PCA Stream, c’est sa réversibilité grâce à l’idée de trame unique. Quand on marche dans la rue, on identifie tout de suite un hôtel, des logements, des bureaux, à leurs façades très typées. Alors qu’avec le Stream, qui croirait que derrière cette façade simple et légère se cache une multitude de programmes différents et substituables !

Rien n’est définitif, il faut être souple et mobile, tout comme la tendance de la société d’aujourd’hui. Autre satisfaction, celle d’avoir choisi le bois. Une matière noble et vivante aux effets inattendus. Ressentis jusque sur le chantier, où l’ambiance était plus sereine et calme que d’habitude. Dans la rue, les riverains s’arrêtaient pour voir pousser le bois dans les étages… Sans doute attirés par l’odeur de la forêt. »

Laura Bouday

architecte chargée du chantier du Stream building

Programme : construction d’un immeuble mixte (bureaux, résidence hôtelière, restaurants, commerces, toiture agricole)
Surface : 16 200 m2
Livraison : 2023
Maîtrise d’ouvrage : Covivio (co-investisseur et copromoteur), Hines France (copromoteur), Assurances du Crédit mutuel (co-investisseur)
Architecte : PCA-Stream
Intervention artistique : Pablo Valbuena
Groupement d’entreprises : Mathis, Rinaldi Structural, Multispe, Axima, Apilog, Inéo, Otis et Topager dont le mandataire est Spie Batignolles Île-de-France
Maître d’œuvre générale : groupe Vertical Sea
BET structure bois : Gustave
BET structure béton : Khephren
BET façades : VS-A
BET restauration : HACS
Acousticien : AVLS
Consultant pollution : Tauw France
Conseil sécurité incendie : CSD Faces

Cet article est extrait du n°162 du magazine 5Façades disponible sur Calameo.