Sur le flanc sud de la vallée de la Bièvre, l’écocampus de Gentilly (94) étend ses 39 000 m2 de bureaux sur une pente de « six degrés », en toute discrétion. Pas facile pourtant d’être parachuté au beau milieu d’un quartier pavillonnaire et de caser trois bâtiments de cinq plots chacun, reliés par des passerelles et ouverts sur des terrasses de verdure. Le secret ? Un gros travail de génie civil pour que la colline serve d’ancrage et des façades sobres et teintées aux couleurs des maisons voisines. Une architecture astucieuse et légère, destinée à accueillir jusqu’à 3 000 personnes avec RIE, crèche, fitness et commerces.

Photo : Schnepp Renou

Construire sur une pente de six degrés, c’est à priori se heurter à une énorme contrainte. Pour les concepteurs de Gentilly, au contraire, elle est devenue une source d’inspiration et le génie civil s’en est donné à cœur joie pour trouver des solutions innovantes. « Le chantier lui-même a été un défi géotechnique avec des solutions adaptées à chaque situation, parois moulées, parois parisiennes, 450 pieux de fondation ou encore 4 km de tirants d’ancrage », explique Alberto Saccà, architecte chef de projet, Hardel – Le Bihan Architectes. Face à un chantier complexe, certains compromis sont inévitables comme construire le socle du bâtiment en béton bas carbone jusqu’au 4e niveau pour contrebuter la poussée de terre. Au-delà, quand la superstructure peut se permettre d’être plus légère, le bois reprend ses droits, de l’épicéa très clair des Vosges pour les poteaux, poutres et planchers. Enfin, le choix d’une charpente métallique s’impose quand il s’agit de supporter le poids des « passerelles-ponts habitées » entre les plateaux de bureaux. « L’une des réussites de ce programme, c’est d’avoir utilisé les bons matériaux au bon endroit, la fameuse filière sèche qui apporte beaucoup de satisfaction quand chaque matériau est choisi pour une place et un rôle précis », souligne Alberto Saccà.

Vue aérienne. Photo : Élise Robaglia

Un effet village

La colline a aussi été inspirante pour implanter les trois bâtiments le long de la pente dans une composition en « peigne » qui offre entre ses dents des univers arborés et fleuris, baptisés « vallées ». Ces percées végétalisées épousent la forme de la colline, dans un double mouvement ascendant et descendant où s’entrecroisent des espaces extérieurs, des patios en pleine terre et des terrasses reliées entre elles par une circulation piétonnière. Un dénivelé d’une quinzaine de mètres implique aussi un double accès. Au nord, à 100 m du métro (nouvelle ligne 14), l’entrée s’effectue dans un hall à double hauteur, spacieux et lumineux, qui offre une vue spectaculaire vers le lointain. On est au R + 4 et la surprise vient d’en bas, quand le regard plonge vers un patio inondé de lumière et pourtant sorti de terre. Côté sud, avec accès direct au centre-ville de Gentilly, c’est l’inverse. Le regard dirigé vers le haut de la colline donne une vision d’ensemble de ce jeu de dominos de petits et grands volumes juxtaposés qui laissent entrer l’air et la lumière comme une « forêt de bâtiments avec ses clairières arborées ». Un effet qui n’est pas le fruit du hasard. Les quinze plots, tous connectés entre eux par des passages transversaux, des terrasses ou des agoras, sont aussi tous différents : en façade, ils déclinent quinze nuances de pastels, des hauteurs qui varient de R + 1 à R + 7 et des trames de 1,35 à 2,70 m. L’idée de génie est de les avoir légèrement décalés les uns par rapport aux autres : « Le fait d’avoir fragmenté les bâtiments en différents plots et de les avoir légèrement fait glisser les uns contre les autres avec des hauteurs variables donne l’impression d’une petite échelle, celle d’un village plus facile à intégrer dans le voisinage. »

Entrée côté sud (bas de la colline). Photo : Schnepp Renou

Entrée côté nord avec métro ligne 14 à 100 m, grand hall d’accueil situé au R + 4, poteaux et poutres en bois massif des Vosges. Photo : Schnepp Renou

Photo : Schnepp Renou

Modénatures de façades

Le fractionnement géométrique des façades de 20 m de longueur maximum s’appuie sur des modénatures utilisées en alternance sur chacun des plots et calées sur une trame de 1,35 m ou une double trame de 2,70 m. Cette écriture de volumes différents, ajoutée à une palette de tons pastel, renforce encore l’identité de chaque façade : une colorimétrie soignée allant du blanc à coquille d’œuf et du gris au gris-bleu en passant par la terre cuite et les verts. Des teintes naturelles inspirées de l’environnement proche et adaptées au béton préfabriqué. « Le béton est teinté dans la masse par des agrégats colorés, il subit ensuite un sablage qui lui donne un aspect minéral et rugueux, riche en reflets comme de la pierre », précise Alberto Saccà.

Le Skydome, immense verrière dans son coffrage de béton et un écrin de bois naturel, diffuse la lumière du jour dans le grand hall de l’entrée sud, avant de descendre vers l’agora.

Deux plots mitoyens, légèrement décalés, trames des façades auto­porteuses différentes 1,35 m et 2,70 m, terrasse et roof-top végétalisés.
Photo : Schnepp Renou

Depuis le patio du RIE, vue sur l’une des passerelles-ponts métalliques, couvertes et aménageables en espace de travail.
Photo : Schnepp Renou

Façades autoporteuses et préfabriquées en béton teinté dans la masse, rugueux après sablage, terre cuite et sable, deux trames différentes.
Photo : Schnepp Renou

Un restaurant interentreprises de 1 200 places, mais aussi une salle de conférence de 2 000 places et un business center de 1 000 m2 dans ce campus de bureaux destiné à un ou plusieurs locataires. Photo : Schnepp Renou

Inclinaison durable

L’écocampus ne s’appelle pas ainsi pour rien. Dès le départ, il a été conçu pour être un exemple de transition écologique avec une priorité pour le bois (17 000 m2), 95 % de béton bas carbone et le recours au préfabriqué hors-site (modules de façades). Dans une démarche écoresponsable, en vue de préserver la biodiversité, l’entretien des espaces verts est affiché sans pesticides, le raccordement au réseau de chaleur urbain représente 80 % d’énergie renouvelable, en majorité géothermique. Pour éviter le gaspillage, une partie des espaces de bureaux sont restés à l’état brut, sans habillage, pour laisser les futurs locataires faire leurs propres choix et ainsi limiter l’utilisation de matières. Privilégier des matériaux issus de l’économie circulaire, c’est rarissime à grande échelle. Sur le chantier de Gentilly, c’est un cas d’école à tous les étages : réemploi des faux planchers (30 % soit 9 000 m2), des moquettes (1 000 m2) ou encore de divers câbles et disjoncteurs reconditionnés. Et 100 % des sanitaires proviennent du recyclage, ils incluent portes, vasques, miroirs, carrelages et cuvettes. Des éléments en ciment et des chutes de bois ont été récupérés pour fabriquer des lampes et des supports de baladeuses. Et pour montrer la bonne volonté des concepteurs, un banc de jardin a même été entièrement réalisé avec des tuyaux de plomberie. Cette démarche a entraîné une réduction de 70 % des déchets et l’optimisation des délais de chantier.

Façades autoportantes

Les 1 245 éléments de façade accompagnent la structure des bâtiments, quelle que soit leur spécificité, poteaux-poutres et planchers béton du RC au R + 2, étages qui supportent la colline et poteaux-poutres bois CLT au-dessus. Préfabriqués, ils arrivent de l’usine sous forme de modules qui, à l’aide de grues, s’imbriquent les uns dans les autres. Des goujons et des scellements permettent leur tenue verticale, des ridoirs assurent les réglages en X ou Y et des joints mettent la touche finale à cette maçonnerie de type traditionnel qui facilite la pose de baies unitaires par l’intérieur. Ce procédé apporte une grande souplesse et un gain de temps : les modules posés, la menuiserie enchaîne sans attendre.

Alain Barthe, architecte « Une aventure humaine exceptionnelle »

« Ce programme, c’est avant tout une aventure humaine exceptionnelle, semée d’embûches et de défis techniques. Tout d’abord, pour faire accepter le projet dans cette zone pavillonnaire, nous l’avons fait évoluer à la baisse et ainsi obtenu le feu vert des riverains méfiants au départ. Ensuite, Bouygues a emporté le marché avec la double idée d’imposer l’omniprésence du bois et de travailler avec les architectes pour optimiser le rapport béton-bois. C’est ensemble que nous nous sommes attaqués à un vrai défi : construire un bâtiment de 39 000 m2 à flanc de colline qui résiste à la poussée de milliers de mètres cubes de terre. Il faut savoir qu’à partir du 4e étage, c’est du 100 % bois et au-dessous du 100 % béton. Une belle réussite de géotechnicité. Mais problème : Bouygues et le MO rejettent notre proposition de façades en béton. Un “paradoxe” selon eux. Seul du classique, comme le bois ou le métal, peut faire l’affaire. Or nous, avec Mathurin Hardel, nous tenons à nos façades en béton ! Alors, avec un ingénieur structure, nous démontrons que l’impossible est réalisable : une structure bois avec une peau en béton pérenne et minérale. Pour nous, c’est une première et pour tenir les délais du chantier, cette façade préfabriquée est la bonne réponse. Une solution souple et vertueuse qui, appuyée par une grosse préparation, a permis de ne bloquer personne : au lieu d’arriver complètes et toutes prêtes, les façades ont été dessinées au centimètre près en tenant compte de leurs singularités, des angles partout, des éléments de très grande hauteur. Résultat, nous avons commencé à les poser au fur et à mesure que les étages se montaient. Nous avions fini le 2e étage que les menuiseries arrivaient pour être posées et ainsi de suite, comme un cycle. Avec Mathurin, on a vraiment fait un travail à quatre mains, puis on s’est réparti les tâches et j’ai pris en charge l’intérieur, les plateaux de bureaux, les halls et les espaces décoratifs “autonomes”, des mondes en soi. Mon objectif était de tenir la révélation du bois et surtout d’éviter le bavardage ou l’habillage déconnecté de l’extérieur. J’ai gardé la vérité et la simplicité des matériaux, le béton et le bois bruts, créé des univers sobres et des déclinaisons de lumière dans le respect de la qualité des façades. »

Josée Blanc-Lapierre

Cet article est extrait de 5façades n°168, disponible en version numérique