À la lisière du Marais, dans le 3e arrondissement de Paris, l’architecte Jacques Moussafir a réhabilité un immeuble typique des années 1970. Particularité : l’intervention du studio Inside Outside (Amsterdam) pour la réalisation d’un magnifique rideau en façade de 10 m de haut.
Le rideau de 10 m de haut en quatre parties indépendantes se déploie sur les quatre niveaux côté rue. Il filtre la lumière et les vues, tout en rafraîchissant les espaces intérieurs.
Photo : Hervé Abbadie
 Le rideaux dialoguent avec l’architecture du bâtiment, afin de parachever la composition de la façade.
Photo : Hervé Abbadie
« Au-delà de démontrer la polyvalence d’une structure banalisée, notre propos vise à affirmer la pertinence des principes modernistes du bâtiment d’origine (plans libres, grille et façade libres au nord, bandeaux de fenêtres continus au sud) et à mettre en valeur son esthétique brutaliste par la mise en évidence de sa matérialité. »

C’est ainsi que les architectes de l’agence Jacques Moussafir définissent le travail de réhabilitation de ce petit immeuble tertiaire, situé rue du Vertbois dans le 3e arrondissement de Paris, qui comprend aujourd’hui un local commercial en rez-de-chaussée, des bureaux et trois logements dans les étages supérieurs. Conçu dans les années 1970 par l’agence Biro & Fernier, cet immeuble tertiaire de dix niveaux est l’un des rares témoins de la période des Trente Glorieuses dans ce quartier.

Il est composé d’une ossature en béton armé de sept étages sur trois sous-sols de parking présentant des technologies de précontrainte innovantes pour l’époque : une voûte inversée supportant un jardin suspendu en cœur d’îlot et un profil mansardé avec six lucarnes de toit couronnant le bâtiment, le tout en béton banché. Bien qu’inséré dans un quartier préservé et composé exclusivement de bâtiments anciens, il a été jugé sans intérêt patrimonial par les ABF. Ce qui a facilité, lors de cette opération, la transformation de sa distribution intérieure et de son enveloppe.

Une mixité d’usages à une micro-échelle 

« À l’image des plateaux libres sans piliers intermédiaires, la principale qualité de la construction d’origine résidait dans son caractère neutre et générique. C’est cette appréhension du bâtiment en tant que structure qui a guidé nos choix architecturaux, depuis l’insertion d’éléments intérieurs (escaliers, garde-corps, revêtements de sols et de plafonds) jusqu’à la conception de l’enveloppe, en passant par le choix des matériaux et les détails de leur mise en œuvre », résument les architectes. Ainsi les escaliers et garde-corps, tout comme les façades, ont été conçus tels des éléments rapportés de serrurerie, le plus souvent suspendus et dissociés de la structure béton afin de mettre en évidence le caractère porteur de la coque d’origine par rapport à ces éléments.  La rationalité du système poteau-poutre – un pas de 1,36 m pour la trame de la façade sur rue et 10 mètres sans porteur intermédiaire pour celle sur jardin – a permis aux architectes, et conformément aux besoins du maître d’ouvrage, de passer d’une affectation monofonctionnelle à un programme mixte superposant des logements à des bureaux et à un ERP.

« La mise en évidence de la structure nous a incités à ne pas différencier espaces d’habitation et de travail, à concevoir les logements comme des bureaux et les bureaux comme des logements, dans une volonté d’intégrer une mixité d’usages à une micro-échelle. » Ainsi les fenêtres insérées dans la grille et les précédents habillages en pierre agrafée qui cachaient la structure de la façade laissent place à une superposition de vitrines continues exposant la structure brute de la nouvelle façade. Celle-ci est suspendue par des plats verticaux en acier axés sur les poteaux béton et butonnée sur la tranche des planchers conservés. Elle s’écarte de la grille structurelle et intègre dans l’intervalle des radiateurs en allège sous des assises intérieures, ainsi qu’un dispositif de double occultation, textile (rideaux en toile enduite) et menuisé (volets en bois), permettant de graduer la lumière et le degré d’intimité.

 Côté cour, un jeu complexe de volumes déhanchés qui, accrochés aux poutres allèges, génèrent des espaces intermédiaires largement vitrés surplombant le jardin.
Photo : Hervé Abbadie
 À l’intérieur, la maille du rideau, outre sa fonction de protection, projette des taches ludiques de lumière naturelle.
Photo : Hervé Abbadie

Ondulation et lumière naturelle

Côté cour, le mur-rideau lisse et sans profondeur a laissé place à un jeu complexe de volumes déhanchés. Accrochés aux poutres allèges, ces derniers génèrent des espaces intermédiaires, sortes de banquettes largement vitrées surplombant le jardin et proposant des angles de vue variés. « L’idée est de passer d’une conception diaphane de la façade à une épaisseur habitée, où l’on peut se tenir, entre intérieur et extérieur, debout, assis ou allongé. »

Elément singulier et fédérateur du projet, le rideau de la façade sur rue. Résultat d’une étroite collaboration entre Inside Outside (Amsterdam) et Moussafir Architectes, il se distingue par une ondulation dont le mouvement est contrôlable par étage. Des effets d’éclairage sont créés sur toute la surface de la maille en PVC grâce à l’intégration discrète de LEDs.

De même, des perforations circulaires définissent le dessin qui reprend le motif d’un Prunus Lusitanica (laurier du Portugal), rendant la maille perméable au vent et laissant s’immiscer vers l’intérieur, de façon ludique et aléatoire, des taches de lumière naturelle. Un imprimé gris-bleu uni reconstitue l’image du Prunus Lusitanica sur l’ensemble des cinq étages du bâtiment. Il s’ouvre et se ferme à l’aide d’un système motorisé avec des capteurs intégrés.

 Voûte inversée supportant le jardin suspendu et un profil mansardé avec 6 lucarnes de toit couronnant le bâtiment, le tout en béton banché. Espace aujourd’hui transformé en showroom.
 Mise en évidence de la structure dans les espaces d’habitation et de travail. Ici, les bureaux
qui bénéficient d’un apport maximal de lumière naturelle.

Cet article est extrait du magazine 5Façades 160 disponible sur Calameo