Dédiée au sport et à la détente, la Cathédrale des sports du nouveau quartier Brazza de Bordeaux semble prendre le large sur les bords de la Garonne. Ouverte aux quatre vents, son ossature sobre et légère superpose, sur six niveaux, des dalles terrasses offrant des places publiques dédiées à des activités de plein air. D’une grande sobriété, le bâtiment respire au rythme des courants d’air, négociés par des toiles coupe-vent amovibles. En guise de toiture, un practice de golf dressé comme un totem donne le cap.

Face à un afflux de population, le futur de Bordeaux se joue rive droite, avec la promesse d’un nouveau quartier : le Brazza, 53 hectares à la sortie du pont Chaban-Delmas. Cette ancienne friche industrielle dépolluée à grands frais devrait se métamorphoser en un lieu de vie où trouver travail, loisirs et de bonnes raisons de s’installer en famille. Un accès à la propriété propice à la mixité dans des logements collectifs, sociaux (35 %) ou individuels. Parmi les 4 800 réalisations, une partie est prévue sur pilotis – une précaution en zone inondable. Et pour décider ceux qui hésitent encore, deux écoles, un gymnase et une salle polyvalente. Difficile d’imaginer dans ce vaste espace encore couvert de grues de chantier, de larges traverses de verdure bordées de commerces (23 500 m2) et de bureaux (24 530 m2) avec vue sur la Garonne. Un cadre idéal, semble-t-il, pour accueillir une activité artisanale qui ambitionne de créer 5 000 emplois. C’est à l’entrée de cet îlot à hauteur d‘homme que la Cathédrale des sports a ouvert le bal. Inauguré en avril 2023, le bâtiment est encore un peu seul : « Arrivé au tout début, il a une responsabilité. Etant très ouvert et transparent, j’espère qu’il pourra initier autour de lui la notion d’échanges. J’appelle ça le rapport de covisibilité. Être très visible mais aussi permettre le regard vers l’extérieur. Favoriser l’échange entre les pratiquants des espaces de sport et les usagers de la ville », commente l’un des quatre architectes de l’agence np2f, François Chas.

Le sport s’affiche en ville

L’agence np2f a mis le doigt dans l’engrenage du sport en 2014. Lors de l’exposition pour le pavillon de la ville de Paris « Sport, portrait d’une métropole ». « Il y a des villes extrêmement émancipées, comme Tokyo où les équipements de sport visibles sur les toits affichent le tempérament de la cité. Contrairement à Paris où il faut aller les chercher derrière des portes cochères ou cachés dans des cœurs d’îlots. Par le prisme du sport, on s’est rendu compte qu’une ville peut affirmer sa personnalité et se donner de l’énergie. » Après cette première expérience, l’agence commence à travailler sur des espaces sportifs, comme le TEP Charlemagne du quartier St Paul à Paris, et à participer à divers concours en partenariat avec l’UCPA. En 2016, la proposition de la ville de Bordeaux de réfléchir à « un équipement majeur de sport dans le quartier Brazza » tombe à pic. L’UCPA est justement en train de se réorienter vers des espaces sport et nature plus près des villes : « Entre nous, ça a matché tout naturellement. » Avec les promoteurs de conception Adim et NFU, les deux partenaires np2f et UCPA se sont mis au travail sur la base de quelques idées fortes en commun : un bâtiment décloisonné, transparent et sobre.

Un univers d’escalade de 900 m² avec un grand mur à cordes de 40 lignes et de 90 voies.
 Structure poteaux/poutres bas-carbone CEM III, un ciment PMES composé d’alluvions blonds.
Dalles sur plots de 50 x 50 cm, garde-corps en acier anodisé, filets brise-vent contre les intempéries, espaces sportifs reliés entre eux.

 

 

Décloisonné

Le nouveau complexe sportif de l’UCPA décline le sport sous toutes ses formes et élargit son offre aux activités ludiques. L’idée est de piocher dans cette palette et de tout essayer. Squash, padel, escalade, golf, fitness au choix, mais aussi l’un après l’autre. Pour la détente, escape games, e.sport et minigolf. Et pour l’apéro, soirées et séminaires, des espaces festifs – bar, restaurant et roof top avec vue sur les coteaux. En réponse à ce concept innovant, le bâtiment fait exploser les cloisons pour faciliter une libre circulation et connecter les espaces entre eux. Trémies, demi-dalles, gradins, escaliers invitent à pratiquer le bâtiment à pied et sont traités comme des lieux à part entière. La multiplication des vis-à vis-permet d’apprécier la volumétrie du bâtiment et suggère la liberté de mouvement : « Cette architecture se devait d’être permissive, pouvoir y faire ce que l’on veut. Rien n’est imposé dans un lieu qui n’est pas fermé, mais au contraire ouvert à l’interprétation et à l’usage. » Pour l’architecte, décloisonner signifie aussi que ce lieu va au-delà du sport et s’ouvre à une pratique plus joyeuse et festive : « On a quitté les gymnases enterrés qui sentent la chaussette et dans lesquels on se préparait pour les Jeux olympiques. On est dans un espace où les gens ont envie de se rencontrer, de boire l’apéro, de frapper quelques balles de golf, tout en ayant un œil sur les enfants qui jouent au minigolf et de regarder le coucher de soleil sur les toits de Bordeaux. Tant mieux si on peut sortir les équipements de sport de leur placard. »

Transparent

L’essentiel de ce tour de force est dû à la suppression des façades remplacées par des filets coupe-vent. Sortes de stores rigides en maille plastique PVC, utilisés à l’origine dans l’agriculture et certifiés M2 pour leur capacité de résistance au feu. Ces panneaux à enroulement électrique sont actionnés par des petits moteurs installés dans les montants de la façade. Un par niveau. Poreuses, les toiles laissent passer la pluie le long des coursives sur environ 1,50 m quand elles sont fermées. Elles se nettoient à la brosse ou au Kärcher : « On a mené aussi une grosse réflexion sur la couleur, entre le blanc qui capte la lumière et le noir qui crée un effet sarcophage ; on a choisi le gris pour sa transparence, idéale. » Cette idée de bâtiment qui respire a été saluée par le prix Lafarge Holcim de développement durable et encouragée par des crédits d’impôts de la part de l’Etat. Comme il n’y a pas de façade, il faut imaginer le pire. Selon le bureau de contrôle, en cas de fortes intempéries et de vents puissants, l’eau pourrait s’engouffrer partout et traverser les étages. La parade, ce sont des terrasses sur six niveaux, faites de dalles sur plots. Par-dessus, une étanchéité lourde bitumée, comme sur un toit terrasse avec une chape allégée, et des conduits de descente qui récupèrent l’eau et la redistribuent vers le réseau pluvial. Seul le dernier niveau, qui accueille le practice de golf de 20 m de hauteur à ciel ouvert, bénéficie d’un revêtement supplémentaire – un tapis synthétique surmonté de filets souples, cette fois-ci, pour recevoir les balles des golfeurs dans leurs mailles.

 Un minigolf de 9 trous et un bar en terrasse surmonté d’un auvent de 14,5 m de diamètre en acier galvanisé, couvert de plaques nervurées façon tôle ondulée.
 Huit terrains de squash et sept courts de jeux de raquettes sur parquet sportif, protégés par une grille à mi-hauteur et exposés à l’air libre avec vue sur la Garonne.
Practice de golf sur le toit surmonté de filets pare-balles de golf sur une hauteur de 20 m.

Sobre

Avec deux tiers des activités effectuées en plein air, seul un tiers du bâtiment est chauffé et fermé par une façade (squash, fitness, cross-fit, kids park, vestiaires, restaurant). Avantage, une économie d’énergie (chauffage, climatisation, ventilation et éclairage) de 900 000 KWh/an, une réduction de 56 % par rapport à un projet similaire clos et couvert. Et pour la construction, une économie de 2 270 tonnes de CO2 a été réalisée, soit 63 %. Car le béton a, lui aussi, été choisi pour ses qualités écologiques. Ses agrégats proviennent d’un site proche (moins de 200 km), son bilan carbone est donc moindre ; en outre, son extrême solidité (PMES) a permis de réduire au minimum les quantités nécessaires. Toute l’ossature principale faite de ce béton lisse et blanc accentue l’impression de légèreté de l’édifice : « C’est certainement plus vertueux qu’un bâtiment construit en bonne conscience avec du bois et des petites fenêtres. Ici, on a du béton et des grandes ouvertures, et on consomme deux fois moins d’énergie à l’utilisation et deux fois moins de carbone à la construction. »

Josée Blanc-Lapierre

Doc. : NF2P
Doc. : NF2P

Filets brise-vent

Les filets sont de dimension variable selon les niveaux. Pour les R+1/2, la plupart ont une hauteur de 4,4 m, leurs longueurs vont de 9,8 à 48,6 m, selon qu’ils fonctionnement ensemble. Pour le R + 3, leur hauteur est de 7,4 m avec les mêmes longueurs. Constitués de PVC avec traitement anti-ultra-violets et fongicide, leur nettoyage s’effectue à la brosse ou au Kärcher. Les filets sont fixés sur des doubles montants métalliques. Leur enroulement s’effectue sur une barre centrale grâce à des moteurs Agrotel WST4 Getriebemotor. Il y en a un par filet, par façade et par niveau. Chacun a une puissance de 1 100 W. Leur mode d’actionnement est manuel, sur une clé avec contrôle visuel et asservissement au système de sécurité incendie. Ils sont certifiés M2 pour leur résistance au feu.

Practice

Sur 79 m de long, le practice se situe au dernier niveau du bâtiment et sa structure en acier galvanisé de 20,25 m de haut fait office de toiture. Cette armature est couverte, au-dessus et sur les quatre côtés, d’un filet pare-balles de golf à mailles souples à partir de 2,5 m de hauteur. En-dessous, un grillage à maille métallique entoure la structure et achève sa fermeture. Les montants en acier ont été hissés et installés à l’aide d’une grue, et la pose des filets assurée par des cordistes. Les douze pas de tirs sur deux niveaux sont abrités et connectés, le joueur peut ainsi voir une simulation de la trajectoire de sa balle. Les balles sont ramassées par un robot qui parcourt l’espace de jeu recouvert d’un tapis synthétique. En-dessous, des dalles sur plots récupèrent l’eau de pluie qui s’écoule vers les conduits d’eaux pluviales.

François Chas, architecte NP2F

« Mettre en pratique une écologie immatérielle, l’air. »

 De gauche à droite : Nicolas Guérin, François Chas, Paul Maitre Devallon et Fabrice Long.

« Le manque d’espaces sportifs et de pratiques est flagrant. Pourtant, il y a des attentes et le phénomène s’amplifie. Parmi les dix plus grandes villes de France, Paris est la moins bien équipée par nombre d’habitants. Or, le sport peut être pour une ville une façon de s’affirmer. Un lien assez puissant pour qu’à np2f, nous nous mettions à travailler sur ce thème de façon naturelle. Dans le contexte actuel de transition énergétique, il nous faut chercher de nouvelles pistes, trouver de nouvelles stratégies bioclimatiques et nous n’en sommes qu’au début. Ces dernières années, le positionnement de l’écologie s’est révélé très idéologique, voire très politique. La règle était d’imposer. Du bois parce qu’il est vertueux, du vert parce qu’il fait bonne impression. Puis derrière tout ça, il fallait un rajout de tonnes et de tonnes d’isolants en provenance de Chine, qui finissaient par pourrir et qu’il fallait entretenir. Il est temps de sortir de ce dogmatisme dans lequel on s’enferme avec le risque de s’endormir. Pour moi, il y a une autre façon de faire de l’écologie. C’est tout un travail de réflexion, qui oblige à sortir de sa zone de confort. Qui consiste à éliminer ce que l’on croit être nécessaire et obligatoire. Comme casser les murs et supprimer les façades de la Cathédrale des sports de Brazza, et mettre en pratique une écologie immatérielle, l’air. Notre idée de base était de faire un équipement sobre, léger et transparent pour faciliter les échanges avec le quartier. Rendre une architecture visible, c’est aussi la rendre plus accessible, montrer le chemin de la sobriété et encourager une politique de prix très bas. Comme c’est le cas de l’UCPA à Brazza, avec des abonnements accessibles au plus grand nombre. »

 

Équipement multisport avec 3 pôles principaux : raquettes, escalade et golf

Cet article est extrait du magazine 5Façades 161 disponible sur Calameo.