VS-A et OP-EN travaillent depuis plusieurs décennies sur des projets de réhabilitation de logements en site occupé. Ces opérations sur des immeubles de 3e famille (A, B) et 4e  famille, ou encore de logements IGH ou GHA, sont aujourd’hui des références. Y compris pour les immeubles de bureaux qui, décret tertiaire oblige, doivent engager une réhabilitation thermique profonde en maintenant leur activité. Retour d’expérience sur trois projets et trois époques.

 Trois projets de réhabilitation de VS-A : quai du Wault à Lille, en 1995, avec l’agence Patou ; la Noue tour 4 à Bagnolet, en 2009, avec Laurent Sevestre ; Quetigny 1 à Epinay sur Seine, en 2019, avec OP-EN.
Photos : VS-A

Les exigences thermiques sur les façades n’ont cessé d’augmenter depuis le premier choc pétrolier de 1973, relevant en premier lieu d’une problématique de ressource énergétique hivernale à laquelle s’est ajoutée progressivement la problé­matique d’été. En a résulté l’obligation, appuyée récemment par la RE2020, de réduire les nuisances de l’activité du bâtiment sur le climat et les éco­systèmes. Le trio isolation, protection solaire et écologie, énonce la complexité de l’époque à construire et à concevoir. Les trois projets de réhabilitation de logements de VS-A –  quai du Wault à Lille (1995) avec l’agence Patou ; la Noue tour 4 à Bagnolet (2009) avec Laurent Sevestre ; Quetigny 1 à Epinay-sur-Seine (2019) avec OP-EN – témoignent à leur façon de l’évolution des attentes concernant la réglementation thermique des logements.

Des performances thermiques nivelées

Les objectifs thermiques moyens de la construction du quai du Wault se référaient à la réglementation de 1982, avec un CEP objectif de 170 kWh/m2an, lequel est passé à environ 80 kWh/m2an pour les projets de logements de Bagnolet et Quetigny. Contemporaine du référentiel BBC rénovation de 2009, la réhabilitation de la tour 4 (Bagnolet) a reçu le prix de l’appel à projet de l’Ademe, en 2010. Si les cibles de réduction des déperditions sur ces programmes ont été réduites par deux en vingt ans, la réouverture des dossiers montre que les performances attendues sur les menuiseries et les parties vitrées n’ont pas suivi la même tendance : quai du Wault, Uw < 2 W/m²K ; tour 4, Uw < 1,7 W/m²K ; Quetigny, Uw < 1,4 W/m²K.

Soit une évolution de 0,7 du projet le plus ancien au plus récent. Ce sont les parties opaques qui ont connu les évolutions de performances les plus grandes. Entre le premier et le deuxième par exemple, le niveau d’isolation des parties opaques a pu être divisé par 4 : ainsi, le 1 W/m²K pour le quai du Wault en isolation par l’intérieur de faible épaisseur est passé à 0,22 W/m²K sur la tour 4 en isolation par l’extérieur de forte épaisseur. Le choix d’une isolation extérieure a généré une réduction similaire des ponts thermiques structurels entre ces deux projets. Celui de Quetigny a réalisé une réduction supplémentaire des ponts thermiques entre les précadres et la menuiserie, tous deux en bois. Les attendus en matière de performance thermique des bâtiments ont peu évolué entre 2009 et 2020, avec une recherche d’optimum autour de 80 KWh/m²an. Ils sont à l’image des deux solutions de réhabilitation, proches à Bagnolet (tour 4) et Épinay-sur-Seine (Quetigny 1) pour lesquelles la performance moyenne des façades atteint environ 0,8 W/m²K.

Bien que calculés sous des référentiels différents – RT 2005 pour la tour 4 et RT 2012 pour Quetigny 1 –, ces deux projets se sont inspirés respectivement du référentiel BBC Effinergie Rénovation et Cerqual. Lesquels ont conduit à des performances de consommation d’énergie primaire autour de 80 kWh/m². Plus concrètement, 71,22 kWh/m² pour le premier alors que l’existant était de 157,36 kWh/m² an (amélioration / env. 2) et 82,96 kWh/m² pour le second, alors que l’existant était de 234 kWh/m² an (amélioration > 2).

Le projet de réhabilitation de la tour 4 à Bagnolet se distingue par la réalisation d’une façade sur mesure entièrement en aluminium, avec ouvrants déportés de grand format.
Photo : VS-A

Une mise en œuvre optimisée

La réhabilitation thermique sur ces deux immeubles étant menée en site occupé, les travaux ont été réalisés depuis l’extérieur. Plus rapides, ils permettaient de préserver le confort des occupants. Le système constructif autorise la pose de la nouvelle façade indépendamment de l’occupation intérieure, et d’utiliser les menuiseries existantes comme protection de chantier. En outre, ils présentent une surface d’allège maçonnée importante. Pour une mise en œuvre efficace, les précadres supports de menuiserie ont été mutualisés avec la fixation du bardage. Lequel est donc maintenu entre lesdits précadres sans fixation complémentaire, ce qui évite la pose de pattes équerres et de chevilles dans le béton (environ 4/m²). Sur ces deux immeubles, ce sont plus de 10 000 percements et autant de nuisances sonores qui ont ainsi été évités !

Des niveaux de sécurité incendie en renfort d’exigence

Bien que soumis à des réglementations différentes – réglementation incendie des IGH 2012 avec avis feu du CSTB pour la tour 4, 4e famille dans la réglementation des bâtiments d’habitation de 1986 pour Quetigny 1 –, la conception a veillé à mettre en œuvre des niveaux de prévention similaires, avec une anticipation des exigences actuelles pour Quetigny 1. Lors de la conception des façades de ce dernier, nous avions été marqués et sensibilisés par l’incendie de la tour Grenfell de 2017, à Londres.

Au même moment, la réglementation en France commençait à consolider les référentiels de conception des façades avec le guide de préconisation de 2017 pour la protection incendie des bardages ventilés, et les premiers essais de laboratoire du CSTB sur les façades à ossature bois. Aussi, un laboratoire spécialisé sera sollicité pour assurer les dispositions de conception, confirmant la mise en œuvre d’un bardage incombustible et l’utilisation de précadres en bois massif protégés par le panneau d’isolation en laine de roche, ainsi que la réalisation d’une coupure de la lame d’air de bardage à tous les niveaux.

Pour rappel, depuis août 2019, la réglementation incendie des bâti­ments d’habitation a été renforcée et l’appréciation de laboratoire est désormais exigée pour la conception et l’exécution des systèmes de bardage comprenant une lame d’air à partir de la 3e famille, ainsi que pour la conception de l’écran thermique formant C+D pour la 4e famille. L’expérience et les essais menés dans le cadre de l’appréciation de laboratoire du CSTB en renfort de l’IT 249 sur les dispositifs de façade contenant du bois et des matériaux biosourcés sont en constante évolution depuis 2017. Ils démontrent que les projets de réhabilitation nécessitent une vigilance particulière.

 Quetigny 1 : le système constructif permet de poser la nouvelle façade en indépendance avec l’occupation intérieure, et d’utiliser les menuiseries existantes en place comme protection de chantier.
Photo VS-A / OP-EN

Des différences pour se démarquer En choisissant OP-EN pour penser la réhabilitation des logements Quetigny 1 à Epinay-sur-Seine, les représentants des copropriétaires signifiaient avant tout leur forte attente de « différence » par rapport aux réhabilitations des logements voisins de la rue Dumas.

À celle-ci s’ajoutait une attente en terme de maîtrise du budget, l’enveloppe de la réhabilitation étant définie par un plan de sauvegarde strict de l’immeuble avec un reste à charge symbolique de chaque copropriétaire sur la réhabilitation. Ainsi, le budget moyen alloué sur les 9 430 m² de façades à Quetigny 1 était de 291 €/m² à la signature des marchés en 2018, contre 561 €/m² à la signature des marchés en 2011 pour les façades de la tour 4 !

Cette exigence budgétaire a induit, au moment de la conception de Quetigny 1, une réflexion sur la typologie de façade éprouvée de la tour 4 pour déboucher sur des solutions plus simples et plus en phase avec les préoccupations actuelles.

Une avancée vers la sobriété

Au cœur de la conception de l’enveloppe de la tour, la recherche de la maximisation : maximisation de l’épaisseur des façades et maximisation de l’intervention sur la totalité des surfaces de celles-ci. La conception de l’enveloppe de Quetigny 1 a été menée, elle aussi, avec une recherche d’intervention maximale, mais concentrée sur les menuiseries et les allèges. Cette démarche, mise au point dès le départ de la conception avec le bureau d’étude thermique Energy Pro, a permis de préserver les piliers en béton matricé du bâtiment et de s’inspirer de leur motif pour concevoir le nouvel habillage des allèges.

Se servir des atouts du bâtiment existant, ici une modénature valorisante déjà isolée par l’intérieur, a augmenté relativement les budgets d’intervention sur les autres parties. La tour 4 à Bagnolet se distingue par sa façade sur mesure entièrement en aluminium. Les menuiseries ont fait l’objet de création de filières d’extrusion, de même que le bardage. Le grand format des ouvrants déportés de la façade, de dimension supérieure à celle de la baie en béton, a nécessité le développement de cinématiques inédites pour ce type d’ouvrage (italienne inversée et ouvrant à l’anglaise).

Le projet d’Epinay sur Seine a été étudié et exécuté exclusivement avec un assemblage de menuiseries bois, ouvrants à la française, et d’un bardage en acier laqué de gamme où chaque élément participe à une composition d’ensemble.

Quetigny : 0,04 W/m²K entre les précadres bois et la menuiserie bois.
Doc. : Lorillard et VS-A

Introduire le réemploi

Si chacun de ces deux projets témoigne d’une démarche urbaine et d’une politique de préservation du patrimoine bâti des années 1970 – le socle d’une démarche première de réemploi –, le projet Quetigny 1 s’est emparé de toutes les opportunités de réemploi des existants dans une recherche d’optimisation économique. Ainsi les cadres dormants des menuiseries existantes ont été utilisés comme profils de fixation des tablettes intérieures, de même que les coffres intérieurs des anciens volets roulants servent désormais de coffres d’habillage des stores toiles.

Bilan carbone de la façade

Ces deux types de réalisation témoignent de deux époques diffé­rentes de conception. Lors de la conception de Bagnolet, l’architecte Laurent Sevestre avait su convaincre les habitants de la tour 4 de la pertinence d’un bardage aluminium extrudé, un « bien » dont ils pourraient disposer et qu’ils pourraient valoriser dans quelques décennies. L’architecte, décédé depuis, n’a pu vérifier son intuition, aujourd’hui avérée ! D’autant qu’à l’époque, on ne pouvait pas mesurer tout l’intérêt d’un bardage en aluminium d’extrusion de grade 6060. À ce jour, ce sont ces aluminiums, à la traçabilité aisée, qui font l’objet d’une refonte avec « up-cycling ».

Quant à Quetigny, la conception de sa réhabilitation thermique s’est, dès le départ, orientée vers le bois. Sans aucun doute par sympathie pour ce matériau polyvalent, à la fois structurel et thermique, adapté à la fabrication des menuiseries, des précadres et des ossatures. Les menuiseries de ce projet sont en mélèze laqué, afin de masquer les nœuds de ces bois peu triés. Ils ont donc peu de déchets de fabrication.

Les précadres en bois offraient, en outre, l’avantage, comparé à l’acier, d’être faciles à découper et à adapter sur les modénatures existantes des bétons. Étonnamment, le calcul du bilan carbone de la façade a révélé que les choix de conception secondaires, comme la mise en œuvre de tablettes et d’ébrasements en bois, pouvaient peser de façon primordiale sur le calcul. Ainsi, l’évolution du bilan carbone des deux projets montre une réduction d’environ 40 % entre les deux opérations.

« Nous travaillons sur quatre sujets similaires de réhabilitation de bureaux en site occupé. »

« Si les immeubles de logements ont pu initier des solutions et des modes opératoires pour la réhabilitation thermique, les immeubles de bureaux ouvrent d’autres problématiques encadrées par les exigences du décret tertiaire. Actuellement, VS-A et OP-EN travaillent sur quatre sujets similaires de réhabilitation de bureaux en site occupé, pour lesquels le confort acoustique de chantier, la maîtrise des apports et de la protection solaires sont incontournables. Les programmes le nécessitent et l’implication du bâtiment dans le changement climatique remet en cause les habitudes de conception. Le réemploi des murs rideaux sur ces typologies de réhabilitation en site occupé et la recherche quasi archéologique qu’ils nécessitent sont tout autant passionnants à résoudre. Nos recherches d’amélioration des moyens de réhabilitation légère et silencieuse se poursuivent, et la multiplicité des cas rencontrés en étude ouvre sur l’exploration de solutions traditionnelles oubliées qui apparaissent comme autant de possibilités d’isolation des façades. Nous poursuivons les démarches initiées en développant nos propres outils de calcul carbone et outils paramétriques, qui facilitent et précisent simultanément la conception thermique, solaire et lumineuse des façades. »

Nicolas Delplanque

architecte associé, VS-A

Évolutions des exigences minimales de déperdition (par m².an)

  • 1950 et 1973 : 300 kWh/m2 .an (évaluation de la déperdition moyenne sans exigence) •
  • 1974 : 225 kWh/m2.an
  • 1982 : 170 kWh/m2.an
  • 2000 : 130 kWh/m2.an
  • 2005 : 90 kWh/ m2.an
  • BBC rénovation 2009 : consommation maximale à 80 kWhep/ m2.an •
  • 2012 : 50 kWh/ m2.an
  • 2020 : bilan carbone kgCO2/m2 et ACV

Cet article est extrait du magazine 5Façades 164 disponible sur Calameo.