À Caluire-et-Cuire, une commune de la banlieue lyonnaise, limitrophe du quartier de la Croix-Rousse, l’agence Perraudin livre un bâtiment mixte qui ne déroge pas à son appétence pour les immeubles canuts et l’architecture vernaculaire. De la pierre, rien que de la pierre, sauf en attique et au sous-sol. Gilles Perraudin se réfère volontiers au courant littéraire de l’Oulipo pour caractériser sa démarche de conception. « La contrainte est libératrice », avance l’architecte dans sa dernière conférence au Pavillon de l’Arsenal. Son « lipogramme architectural » ? Éluder la recherche formelle pour se soumettre aux lois de la matière. « Ce sont les règles de construction qui dictent les formes, explique-t-il. Les règles d’écriture, c’est la pierre qui les impose. » Et, plus avant, de déclarer : « Je suis débarrassé du devoir de modernité et de l’angoisse de créer de la nouveauté. Je suis indifférent à l’idée de ne pas être moderne. Rien n’a besoin d’être inventé. Matière, rythme, proportion et lumière sont les fondamentaux de l’architecture. Il suffit de s’inspirer des éléments les plus puissants d’une tradition. »

Photos : 11h45

Usages métissés

Livré en 2021, l’immeuble de Caluire-et-Cuire s’inscrit dans une parcelle de 650 m2, face à l’ancienne usine des eaux du quartier Saint-Clair (alimentation en eau potable d’une partie de la métropole, après pompage dans le Rhône). Son propriétaire, menuisier, y disposait d’un vieil atelier qu’il souhaitait remplacer par un programme hybride, comprenant un fab lab de menuiserie en rez-de-chaussée, des bureaux au premier étage et trois niveaux de logements, qui, pressentis pour accueillir des stagiaires et des étudiants, sont finalement exploités en tant que résidence parahôtelière. Tous les habitats jouissent de terrasses de 10 m2 au minimum, orientées au sud, du côté de la rue. Traversants, ils sont desservis par les coursives de la façade arrière, dont les retraits successifs et les trouées visent à préserver l’ensoleillement du voisinage. Le R+2 n’abrite que des simplex, formant trois-pièces pour la plupart. Les R+3 et R+4 sont jumelés en duplex, de sorte à constituer les T5 et les T6 de l’opération.

Pingrerie du coup de scie

La double stratification du bâtiment, programmatique et constructive, gouverne l’ordonnancement architectural. Au dernier étage, la structure est faite de murs à ossature bois, bardés de résineux. Les quatre premiers niveaux sont construits avec des pierres de 40 cm d’épaisseur, originaires de la région de Murcie, en Espagne (Rosal Stones, fournisseur). Il y faut distinguer la Marina Rosa, une pierre dure dont les éléments porteurs du rez-de-chaussée et du premier étage sont constitués, et l’Albamiel, un calcaire plus tendre et plus poreux, qui a servi à bâtir les deux niveaux supérieurs. Interrogé sur la provenance de la pierre, Gilles Perraudin rapporte que « l’entreprise française qui devait en assurer la fourniture n’a pas été capable de tenir les délais ». Autre aléa de la vie du projet : le surcoût généré par la dépollution des terres, gorgées de pyralène, a entraîné la substitution des planchers en bois par des planchers en béton. Estimée à 1 600 euros HT/m2, la dépense de construction de l’immeuble s’avère comparable aux standards de la construction lyonnaise. « Le coût au mètre carré des façades en pierre porteuse est de l’ordre de 300 euros HT, fourniture et mise en œuvre comprises », précise l’architecte Jean-Manuel Perraudin, qui dirige l’agence auprès de son père. « Le matériau n’est pas si cher. C’est le coup de scie qui est coûteux. » L’optimisation économique du projet consiste à utiliser les plus grandes pierres possible et à considérer que la matière brute constitue l’enveloppe définitive du bâtiment, non seulement à l’extérieur (pas de revêtement de façade), mais aussi à l’intérieur (pas de finitions de peinture, quasiment pas d’isolation thermique sur les façades du fab lab, des bureaux et des logements).

Pragmatisme, rigueur

Jean-Manuel Perraudin explique que les minces lits de mortier « n’ont pas d’autre rôle que d’assurer la planéité de la pose, en raison de la tolérance de 5 mm de la taille des pierres en carrière ». En fin connaisseur du matériau, il déconseille l’utilisation de calcaire de moins de 400 mm d’épaisseur, une valeur en dessous de laquelle il note une perte significative d’efficacité du point de vue thermique (inertie, déphasage) et de la protection à l’eau (le matériau a valeur de pare-pluie). « Nous ne connaissons pas par avance l’issue de l’appel d’offres. Nous n’avons donc aucune exigence sur la couleur de la pierre et nous adaptons nos plans de calepinage aux disponibilités de la carrière », précise-t-il par ailleurs. Ce pragmatisme à toute épreuve est marié avec une rigueur de dessin inhabituelle dans la production architecturale contemporaine. Les plans de l’immeuble se composent d’une grille porteuse faite de carrés de 7,50 m de côté (emprise du bâtiment : 15 x 30 m). La trame de façade est donnée à 2,50 m, une dimension franchissable par d’épais linteaux sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter de l’acier ou du béton. Considérant la nécessité d’offrir des espaces décloisonnés aux utilisateurs des locaux d’activités, les concepteurs ont réglé le problème des « grandes portées » grâce à des arcs « à l’ancienne ». Ici, plus encore qu’ailleurs, la photographie peine à restituer la beauté de la matière, ses variations de texture, sa puissance brute et immuable. Gilles Perraudin avait prévenu : « Il est inutile de s’essouffler à définir des formes, qui finissent souvent en labels. Tout s’écrit tout seul. Il n’y a qu’à regarder. C’est facile comme architecture ! » Tristan Cuisinier

Coupe transversale.

  • Maîtrise d’ouvrage : La Goutte d’ébène
  • Architecte : Perraudin Architecture (équipe de projet : Gilles Perraudin, Jean-Manuel Perraudin, Benjamin Demoly)
  • MOE EXE : WYSWYG Architecture
  • BET génie civil : Tem Partners
  • Gros œuvre : Richard Construction
  • Bardage, MOB, menuiserie bois : Thalmann, C’bois
  • Livraison : 2021

 

Cet article est extrait du numéro 155 de 5façades à retrouver sur Calameo