À l’entrée nord de La Ciotat (Bouches-du-Rhône), l’atelier Alfonso Femia AF517 livre le « Spot », un complexe de loisirs comprenant cinéma multiplexe, salle de fitness, restaurants et hôtel. Entre autres effets de texture, chers au maître d’œuvre, le projet présente des façades sculpturales de béton immaculé, réalisées avec des panneaux préfabriqués de 15 mètres de haut.

Alfonso Femia aime les couleurs et les matières. En 2017, l’architecte s’était notamment risqué à envelopper le siège romain de la banque BNL (groupe BNP Paribas) de verre miroitant de plusieurs teintes différentes, afin de refléter les ciels de la ville éternelle. Il avait également déployé des parois en « peau de serpent », faites de carreaux de céramique à facettes, dans l’idée d’amener de la lumière « à plus de 35 m de profondeur, à l’intérieur du ventre de la baleine » (sic). En 2021, le concepteur avait encore imaginé la restructuration de l’îlot Renault-Michelet de Marseille en couvrant de bleu une partie des serrureries, des murs et des bardages.

Ni les couleurs tranchées ni les colonies de dauphins peintes au pochoir sur les plafonds des porches ne suffisaient à faire oublier la démesure de l’opération immobilière, mais l’essentiel était ailleurs. Quand d’autres bataillent pour le droit au logement, Alfonso Femia milite pour le « droit à la matière ». Selon l’architecte, il s’agit de créer une architecture expressive, une identité et un sentiment d’appartenance à un territoire. « La matière est capable de parler d’un lieu, d’une relation entre les éléments. Elle permet de se trouver en permanence dans une dimension de l’entre-deux : entre intérieur et extérieur, entre petit et grand, entre jour et nuit. »

 Façade nord du Moxy.

Plissé-strié

Comparé aux édifices romain et marseillais, le « Spot » de La Ciotat rentre dans la famille des projets sages du maître d’œuvre italien. Hormis la façade méridionale de l’hôtel Moxy (101 chambres et 39 suites), aucune excentricité colorimétrique ou formelle n’est observable. La composition s’articule de part et d’autre d’une place centrale, entièrement réservée aux piétons grâce au parking souterrain (485 places de stationnement). Au nord-ouest de celle-ci, un bâtiment multifonction abrite un restaurant, une salle de fitness de plus de 1 000 m2, des espaces de coworking et des bureaux. Au nord-est, le multiplexe exploité par CGR Cinémas compte huit salles de projection pour un total de 1 300 fauteuils. Un laser game de 430 m2, logé sous l’hôtel, lui-même doté d’un restaurant et d’une piscine extérieure, complète l’offre récréative sur le versant sud de la parcelle.

La place est sobrement revêtue d’un sol en béton désactivé de couleur sable et de pentes végétalisées que bordent des façades soyeuses à la blancheur éclatante, dont les plissures évoquent les rideaux des salles de spectacle et les ondoiements de la Méditerranée. « Certains programmes comme le cinéma n’ont pas vraiment besoin d’ouvertures sur l’extérieur. Ce ne sont que des boîtes. L’utilisation d’une seule matière règle l’unité du projet », souligne Alfonso Femia. Toutes les enveloppes du côté de la place sont ainsi constituées de panneaux préfabriqués en béton ultralisse, à l’exception des rez-de-chaussée et des attiques. Les deux bâtiments nord, plus ou moins striés de maigres ouvertures selon les nécessités des espaces intérieurs, sont très similaires dans leur expression. A contrario, la façade nord du Moxy est marquée par une géométrie à redents qui permet de préserver l’intimité des chambres en orientant leurs fenêtres vers le levant et le couchant.

Façade sud et pignon du Moxy (en construction).

Béton biface

Styl-Comp, une firme italienne spécialiste du béton architectonique, a été chargée de mettre au point et de confectionner les panneaux de façade dans son atelier de la banlieue de Bergame, à partir des dessins originaux de l’agence. Dotés d’armatures et de deux couches d’isolant polyuréthane noyées dans la masse, ces éléments de 15 m de haut (largeur variable de 1,13 à 1,70 m) sont composés d’un BFUP de parement enrichi à la poudre de marbre (ép. 8 cm) et d’un béton traditionnel en face interne (ép. 25 cm). Rapportés devant les nez de plancher et les voiles, ils ne jouent aucun rôle dans la stabilité des bâtiments (ancrage au gros œuvre par boulonnage intérieur). « Les vides intercalaires verticaux entre panneaux sont traités avec un joint creux extra-blanc », précise Mehdi Reddaa, chef de projet de l’agence franco-italienne.

 

 Façade arrière du cinéma.
Façade sud du bâtiment multifonction.

Alfonso Femia explique pour sa part que le coût global de la fourniture et de la mise en œuvre est de l’ordre de 300 euros H.T par mètre carré. Imaginées à l’économie, les façades arrière en béton brut de décoffrage n’en présentent pas moins des effets spectaculaires grâce au méli-mélo d’escaliers de secours et de passerelles, dont les ossatures en acier galvanisé sont parées de tôles laquées RAL 1035 (couleur également retenue pour toutes les menuiseries de l’opération).

En façade sud de l’hôtel, sur le pignon et les murs séparatifs des balcons, le « droit à matière » se manifeste par le déploiement de céramiques émaillées « Snake », 10 x 20 cm, teinte « silver », précédemment développées avec Casalgrande Padana lors de la construction de la banque BNL. Deux modèles de carreau (arête centrale, arête décalée avec pose en miroir) suffisent pour créer une infinité de nuances selon le temps et l’incidence de la lumière. La nervosité de la composition est également servie par l’enduit rouge vif de l’attique, en écho aux bigarrures des intérieurs que la chaîne hôtelière a érigées en concept commercial. Blancheur des Cyclades, côté pile. Style « Moxy », côté face. La matérialité au centre du projet.

Tristan Cuisinier

Façade avant du cinéma.
Céramique émaillée Casalgrande « Snake ».

Cet article est extrait du magazine 5Façades 161 disponible sur Calameo.