Petite révolution au cœur du très chic 7ᵉ arrondissement de Paris avec le débarquement d’un assemblage de 254 logements sociaux, d’un gymnase, d’une crèche et d’un jardin. Exit les bureaux sombres et les façades austères qui abritaient autrefois le siège du ministère de La Défense. Place à la lumière, aux balcons fleuris et aux couleurs pastel. Un lieu auparavant « muet » devenu quartier de vie où la géométrie revisitée des années 60 s’imbrique dans celle du 19ᵉ conservée avec soin.

Photo : Jared Chulski
Ancien couvent du 17e siècle, le site a abrité le ministère des Armées depuis Napoléon Iᵉʳ jusqu’à l’emménagement des états-majors dans l’Hexagone Balard (15ᵉ) en 2016. Les militaires ont conservé quelques immeubles, dont l’hôtel de Brienne, pour le ministre. Le reste, une multitude de bâtiments répartis sur 45 000 m² de plancher, a été vendu par l’État. La partie la plus importante, à l’est, a été achetée en 2019 au prix fort par le fonds Qatari Constellation Hotels pour construire un palace.
La Ville s’empare de la partie centrale dans l’objectif de combler le déficit de logements sociaux. S’ensuit un programme d’envergure où tout était à réinventer, y compris la cohabitation avec le voisinage : créer un nouveau quartier, harmoniser un panachage de façades et, comme par magie, métamorphoser des bureaux en appartements. Avec, à la clé, des exigences patrimoniales et bioclimatiques. Après un gros travail de recherche de sobriété et de simplicité, cette réhabilitation inédite montre que l’on peut aussi faire du beau pour les petits budgets.

Au milieu de la cour entre les façades années 60 et 19ᵉ siècle, le bandeau vitré du gymnase semi-enterré et surmonté d’un jardin suspendu accessible de ce côté par un escalier.
Photo : 11h45

Située aux RC et RC de l’extension, la crèche de 68 berceaux privilégie le chêne et les larges baies vitrées qui donnent sur l’aire de jeux masquée par des claustras de béton triangulaires.
Photo : 11h45

Bandeau vitré du gymnase semi-enterré de 600 m² ; plancher souple grâce à un double lambourdage ; chauffage au sol ; derrière les murs
à claire-voie en hêtre, des espaces pour stocker le matériel sportif et les gaines techniques.
Photo : 11 h 45
Un jeu d’imbrications
Cet îlot camouflé entre l’Assemblée nationale et le musée d’Orsay se découvre une fois franchi un porche monumental. Ensemble minéral ponctué de touches végétales, il se déploie autour d’une cour aux pavés sciés, pour le confort du passage de la rue à la maison, mais aussi enherbés pour favoriser la porosité du sol. Au milieu, un bloc de béton blanc cache bien son jeu : sous ses pieds, un gymnase semi-enterré de 600 m² creusé par l’architecte Antoine Regnault, et, sur ses épaules, le jardin suspendu des paysagistes Élise et Martin Hennebicque. Massifs vivaces et arbres en pleine terre se dévoilent pas à pas via une rampe cloisonnée bois et acier. Tout autour en façade, un mélange des genres. Du côté sud et du côté ouest, le tristounet immeuble de bureaux des années 1960 a désormais fière allure avec ses 194 loggias couleur champagne.

Façade en pierre de taille ravalée et isolée en laine minérale de l’ancien immeuble de bureaux transformé en 60 logements dont des duplex sous les toits.
Photo : Jared Chulski

Un exosquelette de loggias en béton bouchardé teinté de sable pour en finir avec l’ancienne façade austère d’un immeuble de bureaux de l’armée.
Photo : Jared Chulski
Au nord de cet immeuble en L, une extension sur deux étages (RC et RC1) permet d’imbriquer habilement tout un ensemble : une crèche et son aire de jeux en plein air, six logements, un patio fleuri et l’accès aux deux salles de sport situées au RC-2. Le long de la rue Saint-Dominique, dans l’ancien couvent transformé au fil des siècles, la partie historique abrite 60 logements de caractère derrière une façade en pierre de taille plus sobre et solennelle. Pour faire surgir des espaces habitables de la rigidité d’anciens bureaux, les architectes n’ont pas choisi la facilité. Pas question de démolir, mais un engagement depuis le début : faire du neuf avec du vieux : « On a changé de paradigme depuis la prise de conscience des enjeux écologiques, aujourd’hui, on fait avec en évitant le cycle démolition/reconstruction très émissif en carbone », selon Jean-Jacques Hubert, cofondateur de l’agence h2o architectes.

Pureté des lignes et simplicité des matériaux utilisés pour l’escalier qui permet d’accéder au gymnase et à la salle de danse semi-enterrés au RC-2.
Photo : 11h45

La rampe cloisonnée en acier et bois permet la découverte progressive du jardin suspendu au-dessus du gymnase.
Photo : Jared Chulski
Faire avec l’existant
Deux bâtiments différents, deux façons d’intervenir. Dans celui des années 60, appelé le « 200 », la façade d’origine en pierre agrafée a été démontée, nettoyée par « bouchon » pour conserver sa nature d’origine, puis remise en place. Les allèges des fenêtres ont été cassées pour faire entrer la lumière et créer les portes-fenêtres toute hauteur de « la pièce du dehors ». En effet, pour rompre définitivement avec le look d’un immeuble de bureaux, un nouveau visage lui a été greffé : un quadrillage de loggias, une par appartement. L’objectif est de créer de l’espace, un besoin dans l’air du temps : « C’était bien avant la Covid et l’on avait déjà en tête l’intérêt du prolongement vers l’extérieur, et puis, côté cour, on avait le droit de s’étendre », commente Jean-Jacques Hubert.

La lumière du jour entre dans la salle multisport par un bandeau vitré masqué par des claustras blanc espacés de 15 cm ; murs à claire-voie en hêtre ; chauffage au sol.
Photo : Jared Chulski

Espace, lumière et vue imprenable pour ces appartements plein sud improvisés dans la partie supérieure et aveugle de l’ancien immeuble de bureaux.
Photo : Jared Chulski

Extension masquée par des claustras de béton triangulaires espacés de 7 cm au RC1 pour la crèche et de 15 cm au RC pour les logements, le patio, l’entrée du gymnase et de la salle de sport situés au 2e sous-sol.
Photo : Jared Chulski
Dans le bâtiment du côté rue, appelé le « 10-100 », après curage des murs, l’ossature a été conservée, la façade en pierre de taille ravalée et isolée en laine minérale, le plancher bois renforcé. À l’intérieur, grands volumes et éléments de décor favorisent le confort de logements traversants entre le jardin et la rue. Des duplex sous les toits complètent cette restauration soignée : fenêtres entièrement refaites, cheminées et moulures restaurées : « Nous étions face à une structure récente, mais en capacité d’être transformée, quant au patrimoine historique, à priori contraignant, sa protection nous a permis de conserver les deux escaliers monumentaux pourtant pas tout à fait aux normes. »

Axonométrie façade sud.
Doc. : FBAA

Axonométrie façade nord.
Doc. : FBAA
Un gymnase jardin
En apparence, l’îlot Saint-Germain affiche une grande simplicité qui cache parfois beaucoup de complexité et d’astuces. Champion en la matière : le gymnase jardin. Comparable à un iceberg, sa partie émergente est couronnée d’un jardin posé sur un bandeau vitré qui apporte la lumière du jour à la salle de sport située en dessous.

Plan d’ensemble. En vert : gymnase et extension.
Doc. : Antoine Regnault Architecture
Comparable à un iceberg, sa partie émergente est couronnée d’un jardin posé sur un bandeau vitré qui apporte la lumière du jour à la salle de sport située en dessous. Cet espace vitré d’un mètre de hauteur environ a été étudié avec minutie : pas d’encadrement, mais une « feuillure », une menuiserie haute et basse dans laquelle s’encastre un vitrage bord à bord dont le joint noir se confond avec les poteaux extérieurs : « Un de nos points forts est d’avoir voulu dégager la vue sur le gymnase, d’où l’idée de démultiplier les points porteurs et de rendre leur lecture ambigüe avec la menuiserie des fenêtres », raconte Eloka Som, architecte de l’agence Antoine Regnault Architecture. D’où ces poteaux : des lames noires en acier de 3 cm d’épaisseur, fixées sur un T de 12 cm, alignées sur la trame des fenêtres de 1,27 m. Autre complexité : faire supporter par ce bandeau de verre le poids d’un jardin d’une vingtaine d’arbres dans 1,20 m de terre. Solution : des poutres de 20 m livrées en trois morceaux et élaborées sur place. Dites « collaborantes », elles sont composées d’une armature en acier dans laquelle est coulé le béton. Posées, elles sont espacées de 1,37 m. Enterrer le gymnase, très proche de la Seine donc en zone inondable, implique un certain nombre de contraintes techniques. Raison pour laquelle l’équipement est protégé par un « cuvelage », un dispositif d’étanchéité posé sur les parois pour le prévenir de l’impact des PHEC, les plus hautes eaux connues.
Josée Blanc-Lapierre

Coupe longitudinale : équipements sportifs, crèche et patio.
Doc. : Antoine Regnault Architecture
Des claustras
Des lames de béton beige clair triangulaires évitent l’aspect mur et créent une enveloppe harmonieuse autour de programmes différents. Espacées, elles filtrent la lumière d’un côté et masquent la vue de l’autre. Une façade ajourée dont les proportions varient en fonction des usages : 7 cm de vide entre chaque claustra pour protéger les enfants de la crèche et sur l’aire de jeux au RC1, et 15 cm d’espace au RC pour les six logements ainsi que pour le bandeau vitré de la salle de danse de 200 m2 : « Afin d’animer cette façade et d’éviter la “cacophonie“ de programmes différents, notre choix s’est porté sur une écriture architecturale des plus simples », explique Eloka Som, architecte de l’agence Antoine Regnault Architecture.

Doc. : François Brugel Architectes Associés
Une exostructure
Les fenêtres ont été sciées afin de préserver les trumeaux en pierre, retravaillés dans les parties manquantes. Des châssis de menuiseries en chêne ont complété le projet. Du côté cour, une « double peau » a été créée de toutes pièces. Cette exostructure en béton armé, coulé en place, s’appuie pour moitié sur les poteaux et les hourdis existants et sur ses propres piliers « bouchardés ». La boucharde date de l’âge de pierre, un instrument pour attaquer la matière et lui donner un aspect plus ou moins rugueux. Elle est remplacée aujourd’hui par une machine aux pointes de diamant : « Le béton a été teinté de sable pour l’harmoniser avec le ton de la façade en pierre collée des années 60 et avec le bâtiment sur rue, son soubassement en pierre et ses enduits minéraux », détaille Jean-Jacques Hubert, de l’agence h2o architectes. Un ensemble couleur champagne accentué par les garde-corps en acier laqué des balcons.
Jean Jacques Hubert, architecte H2o architectes
« Une vue de folie ! » « C’est une fierté de réussir à transformer l’existant tout en faisant du logement pour tous. Tout comme la conception à quatre mains avec François Brugel et le travail d’équipe pour la crèche et le gymnase d’Antoine Regnault. Pour tout ça, on a obtenu le prix du Moniteur 2023. Il y a des architectes qui font évoluer les choses au fur et à mesure du chantier, qui ajustent, adaptent, améliorent. Nous, notre objectif est avant tout de garder le cap et faire ce qu’on avait dit. L’Îlot Saint-Germain est conforme aux prévisions. Les logements sont pleins et leurs occupants en sont, à priori, heureux. La complexité vient d’ailleurs, du « comment faire ses courses » dans ce quartier où les supermarchés ne courent pas les rues et où l’on a pu constater que la livraison se pratiquait beaucoup. Il faut du temps pour que la transition s’effectue, c’est une première pierre à l’édifice de la mixité sociale. Cette réhabilitation patrimoniale va dans le bon sens pour les enjeux bas carbone.
Ici, l’eau de pluie est récupérée et la production de chaleur provient de l’énergie locale. Un toit-terrasse végétalisé, au milieu du bâtiment en L est accessible aux habitants et joue aussi son rôle d’isolant et d’évapotranspiration. La totalité du gros œuvre a été conservée et les cloisons une fois supprimées, nous nous sommes attaqués aux logements. En fonction des orientations, le plus grand nombre de percements a été favorisé pour que chacun puisse bénéficier d’une qualité de vie équivalente. Et pour que les gens n’aient pas de vis-à-vis trop frontal, il a été imposé que la vue, en position assise depuis le R + 1, passe au-dessus du toit du gymnase situé en milieu de cour intérieure. On a profité d’un grand pignon aveugle sur cour, plein sud, pour y greffer des surfaces habitables. Cela donne des appartements d’angle aux R + 5, R + 6 avec une vue de folie ! »
François Brugel, architecte François Brugel Architectes Associés
« Habiter, ce n’est pas se loger. »
« L’Îlot Saint-Germain est un projet d’architecture et, surtout, un projet urbain. Une réponse spécifique à des questions bien plus larges, de l’ordre d’un quartier et de la manière dont il va évoluer ou se transformer. Dans ces cas-là, les bâtiments deviennent des enjeux territoriaux, comme la Samaritaine à Paris, autre opération que l’on a eu la chance de réaliser. Le logement social est un enjeu sociétal profond et, pour moi, un engagement politique au sens de « se mettre au service de la ville ». Il est donc essentiel que cet habitat soit porteur de qualité, car habiter ce n’est pas se loger. C’est une question philosophique : habiter, c’est aller au-delà de simplement avoir sa chambre, c’est réaliser son être, c’est ce qui fabrique nos souvenirs d’enfance. Lors de la démolition des barres d’immeubles dans les années 90, tout le monde sautait de joie, sauf les occupants qui pleuraient de voir disparaître leur existence, et je trouvais ce spectacle désolant. Ces édifices ne sont pas pour autant des entrepôts du souvenir, mais ils ont leurs qualités, leurs aptitudes territoriales, souvent bien plus élaborées que, parfois, leurs successeurs tout neufs. Désormais, on ne démolit plus, on fait l’inverse, je pense qu’il faut d’abord réfléchir. Ces bâtiments ont beaucoup de choses à nous dire et c’est pour ça que je les aime bien. Aujourd’hui, je prends de ses nouvelles, je suis curieux de voir comment la végétation des jeunes paysagistes va s’éveiller. Cela me permet d’aller voir le vivant et sentir respirer ce bâtiment. Les gens sont emplis d’histoires où la question bâtimentaire n’est pas prioritaire, c’est à nous de veiller à leur donner un lieu qui leur permette de se concentrer sur l’essentiel. »
Maîtrise d’ouvrage RIVP, Régie Immobilière de la Ville de Paris :
Maîtrise d’œuvre Logements :
FBAA, François Brugel Architectes Associés, mandataire et coordinateur
H2o architectes, Jean-Jacques Hubert ALTEREA (BET TCE)
Élise & Martin Hennebicque, Paysagistes-concepteurs (aménagements paysagers)
Équipements sportifs, crèche et jardin : Antoine Regnault Architecture, mandataire
Entreprise Générale : GTM Bâtiment Jean-Marc Bresson
Surfaces SDP totales : 11 573,40 m², dont 9 081,50 m² pour les logements et 2 491,90 m² pour les équipements
Montant des travaux : 46,6 M € HT, dont 35,8 M € HT pour les logements et 10,8 M € HT pour les équipements
Labélisation & certifications : Plan Climat de la Ville de Paris
Certification NF Habitat HQE : Label Rénovation (BBC, Effinergie)
Cet article est extrait du numéro 166 du magazine 5Façades disponible sur Calameo