Diminuer l’impact carbone du béton et surtout de son liant principal, le ciment, est une nécessité absolue pour que les architectes puissent magnifier, en structure et façade, ce matériau aujourd’hui ancestral. Alors les industriels du secteur mettent les bouchées doubles pour développer des stratégies bas carbone à court et moyen termes. Objectif : proposer des solutions plus vertueuses, sans omettre la thermique et le design.

Dossier réalisé par Stéphane Miget

Pôle nautique de Sète. Architectes Elodie Nourriga, Jacques Brion, agence NBJ Architectes
Photo : Jean-Luc Girod

Bétons vertueux : chimère ou réalité ?

Troisième secteur industriel le plus impactant après la chimie, la filière ciment-béton s’active pour redorer son blason. Son avenir en dépend. Tour d’horizon des solutions plus vertueuses pour répondre aux impératifs de décarbonation.

Le béton, matériau le plus utilisé en volume dans le monde1, a-t-il encore un avenir dans la construction et en façade ? La réponse est… oui mais. Le « mais » étant son impact carbone. Le matériau est aujourd’hui au centre des débats quant à ses conséquences sur le climat et le paysage – la fameuse « bétonisation ». Et c’est un fait, il représente à lui seul 2,4 % des émissions françaises de gaz à effet de serre (GES). Sa contribution au réchauffement climatique est une problématique qui resurgit de manière récurrente dans le débat public. Et si des efforts ont déjà été réalisés, on est encore loin du compte. La nouvelle réglementation environnementale et la pression sociale sont pour la filière probablement une opportunité.

Centre nautique de Sète : le béton a été retenu pour sa matérialité simple, sa pérennité et la quasi-absence d’entretien. En extérieur, c’est un béton à base de sable de coquilles d’huîtres et d’un liant hydraulique, soit 50 % d’empreinte carbone en moins.
Photo : Jean-Luc Girod

Dans son rapport « Décarboner la filière ciment-béton » de janvier 2022, The Shift Project résume ainsi la situation : « Les dernières décennies ont été marquées par un certain attentisme de la part de la filière française ciment-béton. Malgré la mise en place de crédits carbone par l’Europe (le système EU-ETS), cette filière n’a réalisé que des progrès limités en ce qui concerne la décarbonation de son offre. Aujourd’hui, elle doit affronter le mur de la nouvelle norme RE2020. Les marges de progrès restent considérables.

La profession vient d’afficher une feuille de route collective visant à décarboner son activité de 24 % à l’horizon 2030 et confirme son intention d’atteindre son objectif de – 80 % grâce à la carte des technologies CCUS (Carbon Capture, Utilization and Storage) à 2050. Cette évolution dans la mobilisation de la filière amène un premier constat important : ce que la menace de taxation (ETS) n’a pas réussi à faire jusqu’à présent, une véritable norme performancielle au niveau du bâtiment semble être en mesure de le déclencher.

Sans doute imparfaite, cette réglementation est une décision courageuse et ambitieuse. Si les cimentiers et les bétonniers font les innovations nécessaires, cela pourrait présenter pour la France l’occasion de devenir le laboratoire mondial de la décarbonation de la construction. »

Rector, industriel de la préfabrication béton, et Techniwood, fabricant de façades biosourcées préfabriquées en bois, ont présenté un procédé constructif complet qui combine un système structurel plancher-dalle préfabriqué et panneaux de façade à isolation intégrée.
Photo : STMPresse

Mais ce n’est pas simple ! Car le ciment a comme constituant principal le clinker. Lequel résulte de la cuisson à haute température d’un mélange d’argile et de calcaire, un procédé fortement émetteur de CO2 puisque pour en produire 1 t de clinker… on émet à peu près autant de CO2. Ces émissions proviennent à 40 % du processus industriel, notamment des combustibles les cimentiers essaient de les réduire en utilisant des combustibles alternatifs, en optimisant leur système de production, etc.

Vicat vise, par exemple, un objectif zéro combustible fossile à l’horizon 2025. Les 60 % restants sont liés à la réaction chimique lors de la fabrication du clinker, à savoir la calcination. La conclusion est sans appel : fabriquer du clinker revient à produire automatiquement du CO2. Même en réduisant à zéro la part du CO2 lors de la cuisson, il en reste 60 % d’émis. Le challenge est donc de taille. Cemex, Ciments Calcia, Eqiom, Edycem, Lafarge Holcim, tous les grands cimentiers cherchent à diminuer l’impact du ciment et plus largement du béton pour répondre à l’enjeu des constructions bas carbone.

Île de Nantes, 27 logements collectifs pour Bouygues Immobilier, Atelier Maxime Schmitt Architecte : la structure mixte en bois-béton allie les avantages des dalles de béton et la préfabrication des murs à ossature bois.
Photo : Atelier Maxime Schmitt Architecte

Plusieurs approches sont possibles. La première consiste à remplacer une partie du clinker par d’autres types de liants. Ce sont généralement des coproduits de l’industrie qui n’ont, a priori, pas ou peu de poids en termes d’émissions de CO2. Citons les laitiers sidérurgiques, la cendre volante ou le calcaire. Il existe déjà toute une gamme de ciments dits bas carbone. Il s’agit de produits composés d’additions minérales, soit des ciments laitiers CEM III, avec beaucoup moins de clinker dans leur composition.

 

 Labellisé « produit biosourcé », le béton de bois TimberRoc de CCB Greentech se décline en parois structurelles préfabriquées. Le procédé, doté d’une ATEx de type A du CSTB, affiche un bilan carbone négatif ; il est adapté à la maison individuelle, au petit collectif et au tertiaire.
Photo : CCB Greentech

Ainsi, les CEM III/A, B ou C, ou ciments de haut fourneau, contiennent entre 36 et 80 % de laitier de haut fourneau et 20 à 64 % de clinker. À court terme, l’objectif est de basculer vers des ciments laitiers CEM III ou CEM V. En 2017, la part de production de ce type de ciment était de 11,7 % en France, contre 80,5 % pour les ciments Portland autres que blancs, dont 23,3 % de CEM I et 57,2 % de CEM II (source Infociments).

ZAC de Moulon, architectes Fricout-Cassignol : économie de matière pour les façades de l’installation centralisée du réseau de chaleur et de froid, avec des panneaux en béton fibré de faible épaisseur (13 mm) / Concrete Skin de Rieder.
Photo : Rieder

Si le laitier de haut fourneau est utilisé depuis longtemps, il convient aujourd’hui de mener une réflexion en matière de nouvelles pratiques, dans la mesure où ces ciments montent en résistance plus lentement et sont moins efficaces à basse température. D’où d’éventuels problèmes lors du décoffrage en fonction de la météo. Et en ce qui concerne leur utilisation, les industriels n’apportent pas de solutions.

Ce sont donc les entreprises qui les mettent en œuvre qui donneront des éléments de réponse sur les chantiers, notamment quant aux conditions d’emploi et d’usage de ces ciments. Ces derniers sont plus faciles à utiliser en préfabrication, car mieux contrôlés que sur un chantier. Cela passe, entre autres, par des abaques qui permettent, selon le type de projet et les conditions de température, de savoir sous quels délais il est possible de démouler.

Géopolymère bas carbone

Seconde piste, elle aussi bien avancée, les nouvelles formulations de béton sans clinker, conçues à base de liants géopolymères bas carbone. Ces liants ne sont pas fabriqués par les cimentiers historiques, mais par la société française Hoffmann Green Cement Technologies. L’une des technologies est à base de laitier activé, l’autre à base d’argile calcinée. Avec ces solutions, il est possible de réduire de 60 à 70 % l’empreinte carbone du liant. Autre approche, le captage et le stockage de CO2 – un programme expérimental baptisé « Projet national FastCarb » est actuellement en cours.

Ici, l’objectif est de réinjecter le CO2 émis lors de la cuisson dans des granulats issus de la démolition. Cette technique d’injection dans ces granulats, plus poreux et enrobés d’un peu de ciment, enclenche une carbonatation qui a le double avantage de stocker le carbone et d’améliorer les propriétés des granulats recyclés. Le bémol ? Le processus ne réduit pas les émissions de CO2, mais les absorbe à travers un procédé industriel (carbonatation). Il déplace donc l’empreinte carbone. Certes, il réduit celle-ci puisque le CO2 n’est pas émis dans l’atmosphère mais stocké dans les granulats. Cela ne change rien à la production du ciment, donc aux émissions lors de cette phase.

Projet démonstrateur Olympi, à Chartres (45), Pierre & Territoires Eure-et-Loir : intégration de matériaux recyclés en circuit court, dont certains granulats carbonatés ; conception optimisée des solutions béton préfabriquées afin de mieux rationaliser la production et de limiter les nuisances de chantier ; utilisation de produits en béton décarboné.
Photo : Cerib

C’est une solution prometteuse mais nombre d’experts s’accordent pour dire qu’avant de stocker le dioxyde de carbone dans les granulats, le meilleur des bétons reste celui qui aura nécessité le moins de CO2 pour être produit, le stockage intervenant pour finir le travail. En outre, la tendance est désormais de prendre le contrepied du système constructif français traditionnel qui, basé sur les murs de refend et les voiles porteurs, requiert le coulage d’un important volume de béton. Ce qui fait émerger des innovations plus vertueuses, comme les systèmes poteaux-dalles qui permettent de limiter le volume de béton et de mettre en place des façades légères à ossature bois par exemple. Lesquelles peuvent être habillées de panneaux de façade en béton. Ces solutions autorisent une meilleure répartition du béton là où il est nécessaire.

Les approches bas carbone portent avant tout sur la frugalité et sur la mise en œuvre du bon matériau au bon endroit… Soit un travail d’ingénierie en amont des projets, qui consiste à utiliser des matériaux structuraux carbonés, comme le béton et l’acier, uniquement où ils s’imposent. Cela exige un effort de conception considérable et ce, dès les prémices du projet. Il s’agit de dimensionner des systèmes sobres en matières et de s’intéresser à la mixité des matériaux en introduisant les biosourcés pour séquestrer du carbone tout en valorisant bien sûr leurs qualités intrinsèques : isolation, légèreté et hygrorégulation. Les principales évolutions tournent autour de l’aspect thermique, notamment le traitement des ponts au droit des planchers à l’aide de rupteurs ou l’utilisation de béton complément d’isolation. Sachant que toutes ces solutions répondent, comme les produits plus traditionnels, aux exigences esthétiques en matière de design, et c’est valable également pour les bétons matricés, bruts de décoffrage ou en bardage.

L’impact carbone des ciments :

 

  • Le CEM I, ou ciment Portland, contient au moins 95 % de clinker et au plus 5 % de constituants secondaires. C’est le plus carboné des ciments.
  • Le CEM II, ou ciment Portland composé, contient au moins 65 % de clinker et au plus 35 % d’autres constituants : laitier de haut fourneau, fumées de silice (limitée à 10 %), pouzzolane naturelle, cendres volantes, calcaires…
  • Le CEM III, ou ciment de haut fourneau, contient entre 36 et 80 % de laitier de haut fourneau et 20 à 64 % de clinker.
  • Le CEM IV est un ciment de type pouzzolanique. Avant l’introduction de la norme NF EN 197-1, il était connu sous l’appellation CPZ.
  • Le CEM V, ou ciment composé, contient de 20 à 64 % de clinker, de 18 à 50 % de cendres volantes et de 18 à 50 % de laitier de haut fourneau.

Cet article est extrait du magazine 5Façades 164 disponible sur Calameo.