Fruit d’un partenariat entre le Réseau des maisons de l’architecture (RMA) et la Fédération française des tuiles et briques (FFTB), le concours La Tuile Terre cuite Architendance a été lancé en même temps que la Biennale du RMA, en 2012. Une manifestation destinée à éveiller le désir d’architecture chez tous les acteurs du cadre de vie. Et c’est lors de cette dernière biennale, qui s’est tenue en octobre dernier, à Lorient, dans le Morbihan, que les prix de la septième édition du concours ont été remis. Rappelons qu’ils récompensent des projets architecturaux utilisant la tuile terre cuite dans des réalisations récentes en logements individuels, logements collectifs ou groupés et en équipement tertiaire. L’occasion pour Anne-Sophie Kehr, présidente du Réseau des maisons de l’architecture et présidente du jury, et Jean-Baptiste Fayet, représentant de la Fédération française des tuiles et briques, de revenir sur ces dix années et, bien sûr, de commenter l’édition 2022.

 Anne-Sophie Kehr, présidente du jury, présidente du Réseau des maisons de l’architecture.
Photo : FFTB
Jean-Baptiste Fayet, représentant de la Fédération française des tuiles et briques.
Photo : FFTB

5façades – Le grand prix La Tuile Terre cuite Architendance fête ses 10 ans, comment se porte-t-il ?

 

Anne-Sophie Kehr : Il est le symbole d’un partenariat porteur de sens et de valeurs communes qui rassemblent le Réseau des maisons de l’architecture et la Fédération française des tuiles et briques. Depuis son origine en 2012, le réseau en préside le jury, et c’est pendant notre biennale que le palmarès est dévoilé. En dix ans, le concours a trouvé sa place, son niveau s’est considérablement élevé. Je suis convaincue que ces occasions d’échanges et de partages participent à une meilleure compréhension de chaque acteur – architectes, fabricants et entreprises de mise en œuvre – et favorisent une construction raisonnée. L’évolution du prix et des projets primés vient aussi du fait que la tuile terre cuite a une valeur écologique indéniable face aux problématiques environnementales. C’est une matière naturelle qui met en jeu des productions et savoir-faire locaux, qui a un potentiel de recyclabilité et de réemploi, même s’il subsiste, pour les fabricants, des axes d’amélioration et d’innovation, notamment au niveau de la cuisson.

 

Jean-Baptiste Fayet : Depuis sa création, en partenariat avec le Réseau des maisons de l’architecture, ce sont plus de 400 agences qui ont proposé des projets. Notre ambition à travers ce grand prix est de donner de la visibilité à ces réalisations exemplaires qui mettent en œuvre de la tuile terre cuite en toiture ou en façade. Les projets primés reflètent la capacité de notre matériau à participer à l’expression d’une architecture contemporaine. Ces réalisations du quotidien, au service du cadre de vie, démontrent, sous une apparente simplicité, une grande intelligence de conception, des savoir-faire exigeants servis par des produits durables, performants et de haute qualité. La tuile terre cuite s’inscrit ainsi résolument dans une construction pérenne et toujours plus respectueuse de son environnement.

Que pouvez-vous nous dire sur le palmarès 2022 ? En quoi la tuile terre cuite est-elle un matériau d’architecture contemporaine ?

 

Jean-Baptiste Fayet : Tout d’abord, la palette de teintes et finitions s’est largement enrichie : des coloris naturels et nuancés, des rendus allant du blanc au noir mat ou brillant, en passant par les émaillés et vernissés, sans oublier les créations sur mesure… Soit, pour les architectes, la possibilité de créer des enveloppes très différentes. Et ce n’est pas l’architecture qui s’adapte au matériau, mais bien le matériau qui apporte des réponses architecturales pertinentes et pérennes sur des sites et dans des contextes particuliers. Les réalisations primées mettent à l’honneur la faible pente, les formes complexes et la terre cuite en façade. Une évolution à fort potentiel, la tuile en bardage permettant de protéger des ossatures légères, comme celles en bois. Je pense, par exemple, aux 200 logements étudiants du projet de Post Architectes à Lille, avec ses quatre bâtiments atteignant jusqu’à R + 5 dont les façades sont habillées de tuiles ; ou encore au programme de logements en accession sociale de Magnum, à Carquefou. Il me semble aussi que le toit redevient un « objet d’architecture », un sujet pour les architectes. Les périodes troublées – que nous avons traversées et que nous connaissons encore  appellent à une forme de réassurance, à ré-humaniser notre cadre de vie. Le toit et la tuile ont toute leur place dans cette démarche. En outre les architectes le disent, ce matériau porte les valeurs qui donnent du sens à l’architecture contemporaine, sobre dans son expression et ses moyens, ancrée dans son territoire, naturelle, réutilisable, pérenne, singulière mais sans excentricité. Des projets aussi divers que la cantine scolaire de l’agence Charles-Henri Tachon à Saint-Léger-sur-Dheune, la « Maison S », dans le Doubs, du jeune architecte Pierre Boissenin, ou les maisons groupées de Zoom Factor Architectes, en Belgique, en sont des expressions exemplaires.

 

 

Anne-Sophie Kehr : Le panorama des lauréats sur cette décennie met en exergue la matérialité de la tuile terre cuite. Celle-ci donne du sens et du caractère à un lieu, et pas seulement à une architecture. La tuile sert une architecture du quotidien, située, sensible, sobre, car elle est un matériau contemporain qui, outre sa diversité formelle, porte dans son ADN le lien au territoire, à l’histoire, et contribue à une démarche intelligente à travers des valeurs d’écologie, de recyclage, de ressources locales et de construction avec des savoir-faire présents dans les territoires. La toiture en tuile s’impose pour créer des lieux qui vont installer une relation de proximité avec le monde, appropriables, aussi bien à l’échelle de la vie privée qu’à celle de la vie en commun. Le point commun de ces projets est aussi la réinterprétation de ce qu’est un toit. J’aime beaucoup cette phrase de Frank Lloyd Wright, qui définit l’architecture comme un toit sur une fonction ; les programmes de cette année apportent des réponses singulières à cette question. Autre point commun aux lauréats : l’engagement pour une architecture située. Les bâtiments écoutent leur contexte et répondent au territoire dans lequel ils prennent place. Il n’y a pas de démonstration formelle, mais une singularité qui inscrit le projet dans son contexte, avec une écriture contemporaine forte qui met en valeur des enjeux vertueux que ce matériau peut révéler. D’une grande diversité, elles réinter­prètent toutes l’architecture vernaculaire dans une écriture contemporaine, y compris au cœur de petites villes ou de villages, ou de secteurs porteurs d’une forte identité. Pour exemples : le projet de Fresh Architectures à Versailles, la « Maison sans angle », en Vendée, de Benoit Rotteleur, le programme de Patey Architectes à Novalaise, et, bien sûr, le restaurant scolaire de Charles-Henri Tachon à Saint-Léger-sur-Dheune. Ce dernier allie intelligence et sobriété et porte les valeurs essentielles, vitruviennes, de solidité, d’utilité et de beauté.

GRAND PRIX DU JURY ET 1er PRIX ÉQUIPEMENT TERTIAIRE

Restaurant scolaire, Saint-Léger-sur-Dheune (71) Agence Charles-Henri Tachon

« Sa forme est lisible, autonome, et l’on repère ce nouveau bâtiment à la suite des autres équipements publics le long du mail. Cette singularité est travaillée avec la volonté de proposer une construction qui s’inscrit dans une continuité avec l’existant. Les toitures en tuiles avec des formes visuellement assez simples font ainsi écho à celles du village. Le travail sur les toitures est important pour se glisser dans une intégration naturelle et évidente au village. La question de l’architecture n’est pas d’être contemporaine via un vocabulaire formel souvent pensé en rupture. Le paysage, aujourd’hui, a besoin d’être soigné et accompagné. La démarche contemporaine est de trouver la position juste dans le lieu où l’on s’inscrit. La question environnementale est primordiale. » Charles-Henri Tachon, architecte. « Ce projet a été une évidence pour le jury, car il réunit tous les critères qui font la valeur de ce prix, aussi bien les critères architectoniques, les critères techniques, l’utilisation de la tuile dans son entièreté, jusqu’à son détournement comme expression d’une architecture située, pérenne, respectueuse. » Anne-Sophie Kehr, présidente du jury.

Photo : Nicolas Waltefaugle

2e PRIX ÉQUIPEMENT TERTIAIRE ET PRIX DU PUBLIC

Halle couverte, logements et commerces, Novalaise (73) Patey Architectes

« Il s’agit d’un petit bâtiment, mais il est très important pour le village. L’idée était de donner l’impression qu’il avait toujours été là, tout en créant un dispositif urbain nouveau : on a coupé franchement le grand volume monolithique, pour que la rue retrouve son lit d’origine. Les voitures qui circulent ont conscience de passer la porte du village, ce qui les fait considérablement ralentir. Il fallait une dimension sensuelle, naturelle, afin de ne pas être en affrontement ; il faut que l’on se glisse dans un village et y sente la main de l’homme. La matérialité était donc centrale, à la fois par le choix des matériaux et le travail avec les artisans. On a fait en sorte qu’aucun élément ne vienne contrarier les grands pans de la toiture – aucun élément technique visible par exemple – et travaillé sur les détails des chéneaux et des faîtages avec des lignes plutôt sobres et contemporaines. » Christian Patey, architecte. « C’est une signature architecturale forte et radicale, mais avec un propos qui démontre que le toit en tuile terre cuite a toute sa place dans l’espace public et dans l’expression contemporaine du lien avec le “déjà-là“. » Philippe Prost, architecte, membre du jury, lauréat en 2018.

Photo : Erick Saillet

1er PRIX LOGEMENT COLLECTIF

Cœur d’îlot, Versailles (78) Fresh Architectures

Le toit très dessiné propose des jeux de lignes et de volumes qui ont fait dire au jury que « l’on habitait la tuile ». Il rend sa place aux potentiels de la pente et de la tuile en créant des espaces habitables originaux et chaleureux. La terre cuite des tuiles plates en toiture et des briques en façade rappelle les teintes ocres de la pierre meulière. Le tout apporte « une vibration et une profondeur aux volumes sobres, modernes qui dialoguent ainsi avec leur environnement. Cette écriture monolithique contribue aussi à la connotation moderne de ce projet ». Luca Battaglia, architecte. « Un projet très graphique grâce à la qualité de mise en œuvre, l’attention portée à l’architecture et la sophistication du toit se prolongeant en façade. » Les membres du jury.

Photo : Juliette Alexandre

2e PRIX LOGEMENT COLLECTIF

Student Factory Lille Euratechnologies, Lille (59) Post Architectes

« Ce projet est le dernier d’une zone qui connaît des travaux continus depuis quinze ans. Les habitants du quartier et les riverains de notre site ont donc été très sensibles à ce nouveau chantier. Cela va définir l’un des premiers axes de notre travail : concevoir d’abord un jardin, un parc boisé, soit la première politesse que l’on a faite aux riverains. Ce jardin va motiver toutes les intentions architecturales qui ont mené à une volumétrie décomposée en quatre pavillons, disposés en étoiles de hauteurs variables, y compris un R + 5 qui répond à la réglementation sismique. Nous souhaitions obtenir un bâtiment sobre et plutôt unitaire dans son écriture et sa matière. Le programme est répétitif avec 200 logements de petites tailles. Nous voulions un matériau qui permette un rendu monolithique et modulaire, et la tuile est devenue évidente. Nous l’avons choisie dans une teinte sombre pour créer un fond de décor pour le jardin. » Yoann Devynck, architecte. « L’implantation des quatre bâtiments est intéressante. De plus, la qualité d’exécution et l’approche d’une matérialité répétitive en font un projet qui méritait d’être récompensé. » Anne-Sophie Kehr, présidente du Jury.

Photo : J-P Duplan

1er PRIX EX ÆQUO LOGEMENT GROUPÉ

Maisons mitoyennes, Uccle, Belgique Zoom Factor Architectes

« Le bâtiment a une façade sur rue cohérente, avec les volumes des petites maisons environnantes, et des faîtages désaxés qui accentuent l’effet de proximité formelle. Mais la forme s’évase à l’arrière pour s’ouvrir et laisser place à la vaste surface habitable souhaitée, dont une partie est abritée dans un volume semi-enterré qui utilise la pente du terrain. Avec ses deux lignes de force, la tuile s’est imposée comme un choix cohérent du point de vue urbain et sur cette parcelle végétalisée. C’est le matériau familier dans le quartier. En utilisant la même tuile en toiture et en façade, en retournant le matériau, nous apportons une écriture très pure des volumes dans une mise en œuvre exigeante et parfaitement maîtrisée : chéneaux encastrés, continuité visuelle parfaite du toit jusqu’au sol, travail de précision sur le retournement toit/façade, traitement des angles et des entourages de baies. Nous voulons lire les volumes plus que la maison, cela répond à notre recherche de réinterprétation de la maison traditionnelle.» Basile Grange, architecte. « Un travail intelligent d’insertion et de densification, une savante et discrète utilisation des potentiels de la tuile. » Les membres du jury.

Photo : Victor Grandgeorge

1er PRIX EX ÆQUO LOGEMENT GROUPÉ

Douze maisons individuelles et cinq logements intermédiaires, Flora Parc, Carquefou (44) Magnum Architectes et Urbanistes

« Le programme est conçu comme un village organisé autour de sentes piétonnes, naturellement ombragées par les arbres existants, et de jardins ensoleillés pour les maisons. Ce contexte a aussi amené très vite la question de la pérennité des habitations et de la manière de détourner les codes de l’architecture de la maison individuelle, notamment par rapport au toit, pour que ce soit assez iconique dans la conception, avec un caractère contemporain. Très vite, l’idée de la vêture, telle une coque habillant les maisons, est apparue. Nous la voulions le plus pérenne possible et dans une approche vertueuse en termes de matérialité. » Bernard Aubry, architecte. « La mise en œuvre est fine et précise, le matériau participe fortement à son unité et devient son étendard. » Les membres du jury.

1er PRIX LOGEMENT INDIVIDUEL

« Maison sans angle », Les Sables-d’Olonne (85) Benoit Rotteleur Architecte

« Placée au centre de la parcelle, l’emprise de la maison est une réduction du plan carré du terrain très enclavé et aux voisinages proches. L’intimité repose sur ce toit à quatre pans en forme de pyramide, qui se prolonge largement sur les extérieurs et forme un auvent sur tout le pourtour. Les quatre angles sont évidés pour créer un rapport plus fort entre intérieur et extérieur. La maison est aussi pensée pour apporter un confort thermique : le débord de toit laisse entrer le soleil en hiver et arrête les rayons en été. Dans la partie haute de la pyramide, une fenêtre de toit à ouverture motorisée, orientée au nord, permet d’évacuer l’air chaud. La tuile offre de nombreuses possibilités de formes, de couleurs et de mises en œuvre. Nous avons choisi une tuile assez plate pour garder la lisibilité des quatre pans de la toiture pyramidale et avons fait le choix de ne pas avoir de gouttière : c’est le débord de la tuile qui rejette l’eau dans le terrain sablonneux. » Benoit Rotteleur, architecte. « La sobriété et la lisibilité de cette toiture à quatre pans, qui revient à l’essentiel, a séduit le jury. L’eau retourne à la terre. » Anne-Sophie Kehr, présidente du jury.

Photo : Antoine Seguin

2e PRIX LOGEMENT INDIVIDUEL

« Maison S », Chapelle-d’Huin (25), Archidium, Pierre Boissenin

« « Maison S » (pour Souillot, lieu-dit où elle est située) est posée sur la crête d’une combe. Elle répond à trois contraintes programmatiques essentielles : une parcelle trapézoïdale de surface restreinte ; une ouverture sur le paysage au nord, limitée au sud par les constructions voisines ; pour des raisons d’accessibilité, une maison de plain-pied. La forme en Y avec trois volumes distincts est apparue assez naturellement. Les trois volumes sont protégés par une toiture à double pan en tuiles déclinées en quelques nuances de rouge. Le toit se retourne et se prolonge en bardage jusqu’au sol. Notre ambition est de proposer un événement architectural contemporain et singulier tout en l’inscrivant dans son environnement, notamment par l’emploi d’un matériau local. En effet, la tuile choisie est produite à moins de 50 km. Choisir un matériau pour ses qualités intrinsèques, c’est la vérité architecturale que l’on devrait avoir dans tous les projets. La tuile crée une atmosphère singulière. Dans son emploi, pas de faux-semblant entre ce que l’on voit et la manière dont le volume est construit. Avec la tuile, la vérité du matériau est là. » Pierre Boissenin, architecte. « Une réalisation intelligente et originale, mais sans excentricité, pour cette jeune agence, qui signe, là, son premier projet en nom propre. » Les membres du jury.

Photo : Nicolas Waltefaugle
Cet article est extrait du magazine 5Façades 159 disponible en intégralité sur Calameo.