Hirondelles, martinets noirs, moineaux, ainsi que certains mammifères comme les chauves-souris, dépendent des cavités des bâtiments pour leur reproduction et leur survie. Cependant, les travaux de ravalement et d’isolation thermique par l’extérieur (ITE), indispensables à la transition énergétique, tendent à boucher ces cavités, privant ainsi ces espèces de leurs habitats naturels. Maëva Felten, de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), Paul Saraïs, responsable de l’architecture à l’Union sociale pour l’habitat (USH), et Thibault Lelong, chef de produit chez Sto France, ont présenté sur BJTV à l’occasion de Batimat 2024 les enjeux et les solutions pour concilier protection de la biodiversité et rénovation de façades.
Les hirondelles de fenêtre, martinets noirs, moineaux et rouges-queues noirs vivent près de nous et utilisent souvent les bâtiments pour nidifier. Ces espèces, dites « inféodées », sont protégées et jouent un rôle important dans le renouveau de la biodiversité en ville. Malheureusement, bien qu’il y ait une prise de conscience croissante, elles sont souvent oubliées lors des ravalements ou de la mise en œuvre de systèmes d’isolation thermique par l’extérieur (ITE) : les nids d’hirondelles sont détruits, et les trous de nidification des moineaux bouchés, entre autres. Pourtant, la protection de ces espèces est cruciale, d’autant que leur nombre diminue en ville comme à la campagne. « En trente ans, nous avons observé une baisse de 30 % des espèces inféodées, et même de 46 % pour le martinet, qui niche exclusivement dans les constructions – la rénovation énergétique ne leur est pas favorable », regrette Maëva Felten, responsable du programme « Nature en ville » à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). « Le moineau domestique est encore plus touché en Île-de-France, ajoute-t-elle, avec une baisse de 73 % en treize ans. » Les chauves-souris, également inféodées aux bâtiments, subissent le même sort, en particulier la pipistrelle commune, dont la population a chuté de 24 % en dix-sept ans, selon une étude de Vigie-Chiro.
Réglementation stricte
Ces espèces étant protégées, le maître d’ouvrage doit s’y intéresser, et de plus en plus de collectivités imposent des mesures. Paul Saraïs, responsable de l’architecture à l’Union sociale pour l’habitat (USH), a rappelé que l’enjeu est de concilier la transition énergétique et la préservation de la biodiversité urbaine. « La prise de conscience s’accroît chez les bailleurs, mais les réglementations sont encore trop méconnues. Pourtant, des mesures de compensation peuvent être intégrées dès la planification des travaux. » Dans tous les cas, les obligations légales protègent ces espèces et leurs habitats. « La réglementation est stricte », précise Paul Saraïs. Il est interdit de détruire les habitats et les nids de ces espèces, même vides. Toute infraction peut être sanctionnée par des peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende. Mais ce cadre légal reste peu connu des professionnels de la rénovation, qu’ils soient bailleurs, maîtres d’œuvre, ou même artisans. « Nous devons sensibiliser ces acteurs pour qu’ils prennent en compte ces particularités. » La réglementation impose effectivement des dérogations et des solutions compensatoires, comme l’installation de nichoirs artificiels ou l’application de matériaux offrant une rugosité favorable pour permettre aux hirondelles de fixer leurs nids. Les règles « Éviter, réduire, compenser » (ERC) s’appliquent également en cas de destruction de l’habitat d’espèces protégées.

Nichoir pour hirondelles. Photos : Sto

Nichoir encastrable pour martinets noirs.
Sensibilisation et accompagnement
La LPO mène des campagnes de sensibilisation auprès des entreprises de construction, souvent peu informées de l’impact de leurs pratiques sur la faune : « Lorsqu’on leur présente ces dispositifs, les réactions sont positives, mais il reste un manque d’information sur l’importance et l’obligation de les installer. » La LPO insiste également sur l’importance d’un calendrier de chantier qui respecte les cycles biologiques de ces espèces, avec des périodes de travaux éloignées des phases de reproduction, de migration ou d’hibernation. « D’autant plus que ces oiseaux reviennent chaque année au même endroit pour nicher », précise Maëva Felten. Concrètement, lors de rénovations ou de démolitions, le maître d’ouvrage doit déposer un dossier à la DDTM (direction départementale des territoires et de la mer) pour définir les mesures de protection à mettre en place. Pour pallier ces défis et mieux intégrer la biodiversité dans le bâti, des collaborations se développent entre écologues, bailleurs sociaux et entreprises de construction. Le groupe Sto France, spécialisé dans les produits d’isolation thermique, travaille avec la LPO pour concevoir des systèmes de façade adaptés : « Par exemple, nous intégrons des nichoirs directement dans les panneaux d’isolation ou en applique, permettant aux chauves-souris et aux oiseaux de continuer à occuper leur territoire naturel malgré les rénovations », explique Thibault Lelong, chef de produit chez Sto France. Les fabricants comme Sto proposent des modèles intégrés à encastrer lors de la pose. Collés et recouverts d’enduits, ils isolent efficacement sans créer de pont thermique et restent discrets, seul l’orifice d’entrée demeurant visible. D’autres modèles peuvent être fixés en applique sur la façade.

Nichoir en applique pour chauves-souris.
Solutions techniques
En pratique, il existe donc des moyens concrets pour protéger les oiseaux et leurs sites de nidification, même pendant les travaux. Dans tous les cas, il est recommandé de se faire accompagner par des experts en biodiversité et des ornithologues pour identifier les espèces présentes et les nids avant le début des travaux. Une évaluation minutieuse de la façade permet d’identifier les nids existants, aidant les maîtres d’ouvrage à protéger efficacement les habitats. Planifier les travaux hors période de nidification est une autre mesure de bon sens ; les autorités locales peuvent conseiller sur les périodes à éviter. Pour certaines espèces, comme le martinet, il est possible d’installer des nichoirs artificiels à proximité du chantier. Il est aussi important d’informer les équipes de travaux sur les espèces présentes et les règles de protection, afin de favoriser le respect de la réglementation. Sur le plan technique, des solutions existent pour favoriser la réinstallation des oiseaux après les travaux, surtout lors de l’installation d’une ITE ou d’un ravalement. On peut installer des nichoirs ouverts pour hirondelles ou des tubes adaptés pour les martinets, directement dans la façade. « D’autres initiatives visent à renforcer l’intégration de la biodiversité dans le bâti urbain », souligne Thibault Lelong. Le programme « Nature en ville » de la LPO, auquel nous participons, promeut, par exemple, des infrastructures de végétalisation et la réduction de la pollution lumineuse, qui perturbe également les espèces nocturnes comme la chauve-souris pipistrelle.
Retrouvez l’intégralité des échanges sur ce thème :
Propos recueillis par Stéphane Miget
Cet article est extrait de 5façades Hors-série 2025, disponible en version numérique