Philippe Boussemart, directeur général Sto France et président du Groupement du mur manteau

 

« Nous avons compris que nous ne pouvions plus continuer sur les modes de faire actuels. »

5façades – Vous avez participé au nom de Sto à la Convention des entreprises pour le climat (CEC), pourquoi ?

Philippe Boussemart – J’ai effectivement participé aux différentes sessions de la CEC, avec notre directrice marketing Sophie Choplin. Nous avons pensé qu’il était important de confronter notre expérience à celle des 150 chefs d’entreprise sélectionnés. C’était l’occasion d’échanger, de travailler avec des personnes, souvent plus jeunes et d’univers différents.

Vous dites avoir reçu une « claque écologique », pour quelle raison ?

Durant les six sessions, nous réalisons un parcours qui nous amène à réfléchir à une feuille de route pour que notre entreprise soit plus contributive et régénératrice pour la nature et le vivant. La première session, c’est le constat. Nous avons eu accès à énormément de ressources, qui provenaient notamment du Collège des directeurs du développement durable (C3D) et du Shift Project, et avons assisté à nombre de conférences. Et oui, nous avons vraiment pris une claque écologique. Nous avons compris que nous ne pouvions plus continuer sur les modes de faire actuels. Si l’on prend l’exemple de Sto, actuellement nous fabriquons et commercialisons des produits et systèmes d’ITE qui font économiser du CO2 durant quarante à cinquante ans. Nous pouvons dire que nous sommes donc déjà très contributifs. Sauf que nous pouvons – et nous devons – faire beaucoup mieux, sur nos produits en tant que tels, nos déchets, nos consommations d’énergie, les transports… Sur tous ces points, nous voulons développer une vraie politique de développement durable.

Comment allez-vous vous y prendre ?

Après ce parcours, nous nous sommes dit avec Sophie qu’il fallait que l’on embarque l’entreprise. Au mois de mars dernier, après que neuf de nos collaborateurs se sont formés, 37 sessions ont été organisées sur toute la France pour proposer à nos 300 salariés de participer aux ateliers de la Fresque du climat. Notre objectif est de leur communiquer ce sentiment d’urgence qu’il y a à travailler différemment, à protéger la planète et à agir. Plus de 500 lignes d’actions ont été répertoriées au cours de ces ateliers.

Alors, on commence par quoi ?

Le plus difficile ! Changer nos habitudes. Si l’on regarde ce qui s’est passé l’année dernière avec la sécheresse, les feux de forêt… il y a un non-sens. L’enchaînement dans lequel nous sommes pourrait mener à une extinction. On parle aujourd’hui de sixième extinction de masse, chacun peut réagir différemment. De mon côté, je pense qu’il faut convaincre et agir à titre privé et professionnel. Nous devons faire notre part.

Photo : Siméon Levaillant

Le marché de l’isolation thermique par l’extérieur connaît une forte croissance, soutenue par la rénovation énergétique des bâtiments. Celle-ci est à la fois portée par l’habitat collectif – les bailleurs sociaux et les copropriétés – et boostée par la maison individuelle. Rénovation d’une maison individuelle, Strasbourg (67).

Si l’on s’en tient au volet professionnel, qu’est-ce que cela signifie concrètement pour Sto ?

D’abord, ne plus dépendre des énergies fossiles. Nous avons déjà commencé avec le lancement d’une nouvelle gamme de produits, StoTherm AimS à base d’huile de pin et nous allons continuer sur cette voie. Le second point : travailler en profondeur sur la reprise des déchets, avec l’objectif zéro déchet utile à l’horizon 2050. Il s’agit, sur l’ensemble de notre processus industriel, de réduire, de réutiliser et de recycler. Par exemple, nous avons organisé, dans nos agences réparties sur tout le territoire, la récupération des seaux d’enduits, y compris ceux de nos confrères. Autres actions déjà mises en place : un système pour reprendre les déchets de polystyrène, un autre pour facturer les palettes bois Europe et les récupérer à un tarif inférieur. Car elles vont être réparées. Aujourd’hui, le bois est une ressource de plus en plus importante, il faut donc y faire attention. L’autre axe, c’est nous engager avec la filière, sur la production de panneaux isolants polystyrène (PSE) intégrant des matières premières renouvelables issues de la biomasse. Ces produits existent déjà, mais la base Inies1 refuse de prendre en compte leur FDES2 lorsque celle-ci intègre le calcul mass/balance3 comme un moyen de réduire les émissions de CO2. C’est-à-dire lorsque les fabricants utilisent des intrants issus de la biomasse pour fabriquer les panneaux. Nous avons également instauré, avec certains de nos commerciaux, une organisation dédiée à la rénovation énergétique des maisons individuelles, c’est-à-dire un système pour aider les clients à gérer les certificats d’économies d’énergie (CEE) et MaPrimeRénov’. Ce réseau a pour vocation d’accompagner les entreprises qui travaillent sur la maison individuelle, pour les aider à se structurer et à répondre aux attentes de leurs clients particuliers.

Plus généralement, comment se porte le marché de la rénovation avec un système d’isolation thermique sous enduit ?

Il se développe. On prévoit son doublement entre 2018 et 2025. Soit 23 millions de mètres carrés à l’horizon 2025. La dynamique des bailleurs sociaux est bien enclenchée. La copropriété commence à être réceptive. Mais les projets sont longs. Avec les aides, le marché de la maison individuelle a été pas mal dopé. Cela dit, nous sommes mécontents que les aides pour l’isolation soient réduites et que les pouvoirs publics privilégient le tout pompe à chaleur. Or, tout est complémentaire : il faut isoler, ventiler et chauffer. Si l’on installe une pompe à chaleur dans un bâtiment non isolé, cela ne fonctionnera pas. Il y a 36 millions de logements, dont 27 à 29 millions à rénover d’ici 2050 pour atteindre le niveau BBC rénovation et au moins 5 millions de passoires thermiques ! En s’y prenant de cette manière, on ne remplira pas ces objectifs.

Comment expliquez-vous ces choix ?

Nous avons été reçus par le cabinet du ministre du Logement Olivier Klein. Il nous a été clairement dit que le ministère était totalement conscient qu’il fallait agir en isolant, en ventilant et en mettant en œuvre les énergies renouvelables. Mais, aujourd’hui, une pompe à chaleur ça s’installe rapidement, sans beaucoup de travaux. Nos interlocuteurs considèrent que la main-d’œuvre est suffisante et qualifiée, contrairement à la façade. Et surtout, la rénovation de la façade n’est pas industrialisée.

Que proposez-vous ?  

Pour traiter le sujet en profondeur, il faut un plan choc de rénovation pour éradiquer les passoires thermiques. On en parle depuis quinze ans, il y en a près de 5 millions. Il serait temps de prendre le sujet à bras-le-corps : on en fait 500 000 par an et dans dix ans on n’en parle plus. L’idée est de réunir tous les acteurs – collectivités, industriels, entreprises, etc. – pour définir un plan d’action. Ensuite, il faut définir une zone expérimentale pour voir si le principe fonctionne. Et, si c’est le cas, il faut le déployer sur tout le territoire. Je ne crois pas au saupoudrage, il faut mettre le paquet sur le sujet et ensuite passer à autre chose. J’insiste sur ce point, car ce n’est pas productif de continuer ainsi à injecter de l’argent public. Pour les passoires thermiques, il faut 28 milliards d’euros.

Photo : Manuel Panaget

 

Copropriété rue de Saint-Cloud, Nanterre (92). Grâce au choix d’une rénovation énergétique complète (isolation façade et toiture), cette copropriété a obtenu des aides financières importantes permettant une prise en charge de la moitié du budget total de l’opération.

Qu’en pensent vos collègues du Groupement du mur manteau et plus généralement que mettez-vous en place avec eux ?

L’idée a été validée par notre bureau. Sinon, nous sommes en train de sortir un catalogue de vidéos sur les bonnes pratiques de l’application de l’ITE. Il devrait être prêt en mars. Nous avons aussi travaillé avec le Pôle de compétitivité Fibres-Énergivie à une nouvelle édition du livre blanc pour la qualité de l’enveloppe du bâti, présentée en février.

Vous avez abordé l’idée de l’industrialisation de la rénovation de la façade, que vouliez-vous dire ?

Nous pensons que les expérimentations d’industrialisation, portées notamment par EnergieSprong, sont une très bonne chose. Mais il y a toujours la problématique du coût trop élevé. Donc il faut massifier pour que l’industrialisation devienne rentable.

Et à propos des polémiques sur l’ITE et les bâtiments patrimoniaux ?

Il y a un dialogue à instaurer avec les architectes des Bâtiments de France. Mais, comme je l’ai déjà dit, l’ITE n’a pas vocation à recouvrir tous les bâtiments de France.

Propos recueillis par Stéphane Miget

Cet article est extrait de 5façade n°159 > Découvrir le numéro en intégralité <