À l’occasion de Batimat 2024, BJTV a réuni Jérôme Lopez, directeur R&D et innovation chez Nobatek/Inef4, Stéphane Hameury, directeur opérationnel du CSTB, et Éric Dibling, fondateur d’Ingeneco Technologies. Sous le thème « Innovation en façade, réforme de l’ATEx et banc d’essai », ils ont échangé sur les avancées et défis de la filière. Nous en avons retranscrit les meilleurs moments.

Propos recueillis par Stéphane Miget

1. INNOVATION EN FAÇADE : LA CONVERGENCE DE LA TECHNIQUE, DU DESIGN ET DE LA DURABILITÉ

Les façades de bâtiments, autrefois limitées à des rôles de protection et d’isolation, sont désormais un terrain d’innovation majeur pour les aménageurs, maîtres d’ouvrage, entreprises générales du bâtiment et façadiers. Dans un contexte où les normes de confort évoluent et les préoccupations environnementales s’intensifient, la façade est en effet l’un des derniers espaces d’expression architecturale où se croisent ingénierie de pointe, esthétique et écologie. Définir ce qu’est l’innovation en façade représente déjà un challenge. Traditionnellement, l’innovation se distingue des techniques courantes, mais, pour les façades, il s’agit de bien plus que d’utiliser des matériaux nouveaux. L’innovation englobe aussi la reconfiguration des fonctionnalités et la capacité d’une façade à remplir de nouvelles fonctions. Aujourd’hui, les façades ne se contentent plus de « couvrir » et de « protéger » un bâtiment ; elles contribuent activement au confort thermique, acoustique et lumineux des occupants, tout en s’adaptant aux contraintes environnementales. La façade contemporaine est le reflet des nouvelles normes strictes, intégrant des matériaux biosourcés ou géosourcés pour favoriser la durabilité. Ce choix s’accompagne de stratégies d’écoconception, où réemploi, recyclage et démontabilité sont des priorités. Conçues pour durer, les façades actuelles intègrent une dimension de fin de cycle, facilitant leur réemploi et limitant les déchets. Pour les acteurs du bâtiment, maîtriser l’empreinte environnementale est devenu un impératif. Cependant, les contraintes économiques et industrielles influencent fortement cette transition vers des matériaux innovants. Il s’agit de s’assurer que ces matériaux sont produits de manière économiquement viable, dans un cadre où la massification des solutions est nécessaire pour répondre aux besoins de rénovation énergétique des bâtiments existants.

Une façade multifonctionnelle et adaptative

L’innovation en façade passe aussi par la multifonctionnalité. Les nouveaux systèmes intègrent souvent des solutions énergétiques, comme la production solaire, ou des systèmes de ventilation. La façade devient ainsi un acteur central du confort des occupants, de la production d’énergie et de l’esthétique, contribuant à l’émergence de façades « intelligentes », capables de s’adapter aux variations de l’environnement. Cette convergence entre technologie et architecture est fondamentale pour trouver un équilibre entre les attentes esthétiques des architectes et les exigences techniques. L’augmentation de la complexité technique des façades oblige tous les acteurs du bâtiment – architectes, ingénieurs, industriels et entreprises – à collaborer étroitement. La façade est le fruit d’échanges et de compromis, devant être innovante tout en respectant les normes de sécurité et de durabilité. Il s’agit d’harmoniser des attentes parfois opposées, afin de concevoir une façade conforme aux standards techniques, tout en incarnant un objet architectural fort.

Village des athlètes, lieu d’innovation en façade, une quinzaine d’ATEx qui portent principalement sur l’enveloppe des bâtiments ont été délivrées. Le travail réalisé pour les bâtiments a permis une forme de reproductibilité intelligible au sens du critère « expérience reconnue et réussie ». Photo : Stefan Tuchila

2. RÉFORME DE L’ATEX POUR ACCOMPAGNER L’INNOVATION

Une réforme de l’Appréciation technique d’expérimentation (ATEx) est actuellement en préparation, dans le but de transformer cet outil de certification technique, trop souvent sollicité tardivement, en un levier d’innovation et de transmission des bonnes pratiques au sein de la filière bâtiment. Aujourd’hui, le processus de demande d’une ATEx intervient souvent trop tard, alors que les entreprises sont déjà désignées et que les travaux sont sur le point de démarrer. Dans ce contexte de délais serrés, l’évaluation des innovations techniques est souvent compromise, ce qui freine la reconnaissance collective de ces innovations. La réforme vise à repositionner l’ATEx dès les premières étapes des projets de construction, c’est-à-dire dès la conception. L’idée est de permettre aux maîtres d’ouvrage, voire aux aménageurs, d’intégrer l’ATEx bien avant que les entreprises ne soient engagées, afin que ce dispositif joue un rôle stratégique dès la définition du cahier des charges techniques ou des spécifications du projet. Ce repositionnement donnerait à l’ATEx une valeur ajoutée pour l’organisation des projets, permettant aux innovations de s’intégrer efficacement dès la consultation des entreprises.

Capitaliser l’expérience

Actuellement, une fois l’ATEx obtenue, il n’y a pas de suivi formel. Pourtant, son potentiel réside dans sa capacité à intégrer une logique de retour d’expérience, précieuse pour toute la filière. La réforme propose donc la création d’une plateforme dédiée au partage des projets réalisés avec une ATEx. Cette plateforme permettrait au CSTB de capitaliser sur les expériences issues des ATEx et de les partager pour faciliter la mise en œuvre future d’innovations similaires. Ces données offriraient ainsi des références concrètes au moment où une innovation pourrait être validée comme Avis technique (ATec) et devenir une pratique reconnue. La réforme envisage également d’approfondir le suivi des projets en intégrant des contrôles pendant le chantier et lors de l’exploitation des bâtiments. L’objectif est de créer une boucle de retour d’expérience qui mesure la performance réelle des innovations mises en œuvre sur le terrain. Par des contrôles et mesures visuelles régulières, ce suivi permettrait une évaluation concrète des nouvelles techniques en conditions réelles, favorisant ainsi un apprentissage progressif et une amélioration continue. Après plusieurs cycles de validation sur des chantiers similaires, ce processus pourrait déboucher sur des règles professionnelles, rendant les innovations reproductibles et adaptées aux exigences de la filière du bâtiment.

En offrant des ressources techniques de pointe et en facilitant la collaboration, le banc d’essai favorise l’émergence de nouvelles solutions de façade. Photo : Nobatek/Inef4

3. UN BANC D’ESSAI AEV INNOVANT POUR L’ÉVALUATION DES FAÇADES

En septembre dernier, un banc d’essai AEV (Air, Eau, Vent) de grande envergure a été inauguré à Bordeaux, né d’un partenariat entre l’entreprise Coveris, spécialisée dans la façade, le CSTB, et Nobatek/Inef4, dans le cadre du programme européen Metabuilding Labs, coordonné par Nobatek/Inef4. Installé sur le site de production de Coveris, ce banc d’essai permet de tester des éléments de façade de 5 m par 5 m, dans des conditions AEV strictes, tout en autorisant des ajustements en temps réel. Cette approche collaborative en fait un équipement accessible à tous les acteurs de la filière façade, favorisant l’innovation et l’adaptabilité. La présence de cet équipement dans le Sud-Ouest est une aubaine pour les entreprises locales qui, jusqu’à présent, devaient se déplacer en région parisienne pour effectuer ce type de test. Ce banc de proximité leur offre une solution plus économique et logistique, tout en répondant aux normes de certification.

Un outil au service de la R&D et de la certification

Ce banc n’est pas seulement un outil de test ; il accompagne les entreprises dans leurs projets de R&D en leur permettant de tester, d’ajuster et d’améliorer leurs produits avant même les certifications définitives. Cette flexibilité permet aux industriels de tester leurs systèmes, d’effectuer des modifications en temps réel, et de les affiner autant que nécessaire pour perfectionner les solutions avant la phase de qualification. En permettant aux concepteurs de tester et d’améliorer leurs produits sur place, ce banc est un pilier de la chaîne d’innovation, garantissant le développement de façades durables et performantes, répondant aux exigences de confort et de performance énergétique. En intégrant des possibilités de retours immédiats et en facilitant la collaboration entre ingénieurs et techniciens, il encourage la cocréation autour de solutions de façade contemporaine.

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