Situé en zone tropicale, l’aéroport Roland-Garros, sur l’île de La Réunion, se dote d’une aile supplémentaire. Imaginée par les architectes d’AIA Life Designers avec l’ingénieur Jacques Gandemer et l’architecte associé Olivier Brabant, elle est la synthèse d’une conception bioclimatique et d’éléments préfabriqués frugalité énergétique oblige. Résultat : le bâtiment aérodynamique est naturellement ventilé et cela passe par l’enveloppe.

La conception de l’enveloppe favorise la circulation et la régulation des flux d’air intérieurs. Une performance à souligner pour un bâtiment situé en zone tropicale, exposé aux cyclones et installé sur un site très contraint d’un point de vue sécuritaire.
Photo : Studio Lumière

 

En juin 2018, l’équipe AIA Life Designers remporte le concours de la construction d’un projet d’extension de 33 500 m², revu à 13 200 m² après la Covid, de l’aéroport Roland-Garros sur l’île de La Réunion. Développée sur la partie ouest de l’infrastructure existante et placée perpendiculairement à l’actuelle aérogare, cette aile accueillera, en 2024, les arrivées sur trois niveaux. L’aéroport qui comptait 1 million de passagers en 1993, puis 2 millions en 2011 et 2,3 millions actuellement, anticipe un flux de… 3 millions de passagers d’ici à 2030. L’implantation du bâtiment est stratégique : ne pas faire obstacle à de futurs réaménagements et tirer parti des alizés continus du front de mer. En effet, dès 2011, la maîtrise de l’impact environnemental de l’aéroport Roland-Garros est l’une des orientations prioritaires de la Société aéroportuaire. Les architectes doivent livrer un projet ne dépassant pas le seuil énergétique de 135 kWh/m².an.

 

Schéma : AIA

Hors site en soufflerie

La conception de cet objet aéro­dynamique est le fruit d’une réflexion poussée en matière d’architecture, de design et d’ingénierie. Le bâtiment étant dépourvu de climatisation, il faut pouvoir garantir par tous les temps la résistance de la structure et l’étanchéité de l’enveloppe si nécessaire, ainsi qu’une ventilation naturelle intérieure régulée pour le confort et la sécurité des voyageurs. Ces mises au point se sont déroulées dans la soufflerie atmosphérique Jules Verne du CSTB de Nantes. Docteur en mécanique des fluides et aérodynamique, Jacques Gandemer, ingénieur au CSTB de Nantes depuis quarante ans, a assuré ici la mission de conception aérodynamique (architecture externe) et aéraulique (architecture interne). Les essais ont consisté à projeter de la fumée sur 401 prises de pression positionnées sur une maquette au 1/150e.

« Les mesures ont été effectuées suivant 24 incidences différentes de vent, en traduisant des rugosités variables de terrain. Ces essais ont permis l’étude de scénarios accidentels, comme le bris de certaines façades lors d’un événement cyclonique. Les concepteurs ont pu établir une sorte de cartographie de pressions – toutes incidences confondues – autorisant le dimensionnement précis des éléments de second œuvre sur la charpente avec, très localement, des valeurs d’arrachement jusqu’à 580 daN/m². Ces choix techniques vont au-delà des prescriptions réglementaires Eurocode », résument les architectes de l’agence AIA. Les contraintes climatiques ont conduit à développer un bâtiment de 130 m, creusé par un canyon intérieur sur toute sa longueur. Pour ancrer solidement le volume au sol, un socle en béton de 7 000 m3 est coulé, surmonté d’une superstructure en acier au niveau 1, elle-même coiffée d’une nef en bois à deux versants. Cette charpente cintrée et ses portées pouvant atteindre 25 m est en pin scandinave lamellé-collé.

 Le socle en béton est surmonté d’une superstructure en acier. Elle est coiffée d’une nef en bois à deux versants. Cette charpente cintrée en pin scandinave lamellé collé présente des portées pouvant atteindre 25 m.
Photo : Studio Lumière
 La charpente bois du « canyon ».
Photo : Studio Lumière

Façades d’admission et toiture courbe

Afin d’orienter les flux d’air, les façades et la toiture sont traités comme des éléments aérodynamiques : côté est, la façade d’admission laisse entrer l’air qui s’engouffre dans le bâtiment pour ressortir ensuite via un puits dépressionnaire – le « canyon » de 130 m assurant le rôle de « puissante pompe d’extraction de l’air ». Irriguées par les vents du nord-est au sud-est, les façades d’admission et d’extraction de l’air jouent un rôle essentiel. Constituées d’éléments en simple vitrage à contrôle solaire, fixés sur ossature métallique, elles accueillent des ventelles sur une hauteur de 4 m. Ces châssis à lames orientables sont motorisés et autorégulés par GTB, en fonction de la vitesse du vent et des conditions climatiques. En plus des brise-soleil verticaux et de la sérigraphie sur les vitrages, des protections solaires sous forme de toiles tendues sont prévues sur les façades est et ouest.

 Pose de la couverture Kalzip.
Photo : Studio Lumière

Selon les orientations et la course solaire annuelle, les façades sont ombragées par de larges débords de toiture. Les surfaces en verre et en polycarbonate alternent pour obtenir un facteur solaire global en-deçà des normes : le recours à la ventilation naturelle et l’apport important d’éclairage également naturel permettent ainsi de réduire la consommation d’énergie (éclairage, ventilation et froid) de l’ordre de 60 %, comparé à un bâtiment équivalent. Quant à la toiture toute en courbe, elle est en aluminium : les bandeaux du fabricant allemand Kalzip sont arrivés par bateau. Les bobines de 60 cm de large ont été déroulées et ondulées sur site. Doublement cintrés (concaves et convexes) et mesurant jusqu’à 30 m de long, les bandeaux sont sertis sans joints de recoupement, ce qui limite les sinistres.

 Le bâtiment est ventilé naturellement grâce à un phénomène dépressionnaire activé par la toiture ondulante et fendue qui tire parti des alizés. Essai au vent CSTB Nantes.
Photo : G. Satre

Composer avec les climats

Grâce à cette mécanique, les écoulements d’air avec des vitesses comprises entre 0,5 et 1,5 m/s permettent de faire baisser la température intérieure ressentie d’environ 5 °C, avec des taux de renouvellement d’air supérieurs à 30 vol/h. Pour certains espaces, la mise en marche de brasseurs d’air permet d’atteindre le confort thermique. Outre la gestion naturelle de l’air, ce projet concentre, de sa conception à son montage, un ensemble de contraintes pour un chantier en zone aéroportuaire : les nuisances sonores (modélisations acoustiques dynamiques), la sûreté (essais de perméabilité sur les ouvrages de métallerie type grilles), le confort olfactif, la protection feu (ingénierie de désenfumage), etc.

Bien qu’une partie du projet soit préfabriquée en métropole pour être ensuite acheminée par bateau, il faut souligner qu’au total, 72 PME locales sont impliquées dans la coordination de 18 lots travaux. Elles ont la charge d’assurer le montage de 10 000 pièces de métal et 700 t de charpente. Le projet a pu parfois nécessiter jusqu’à 6t par levage avec un vent permanent, sans qu’aucune pièce n’atteigne les pistes. Concernant les précipitations, une étude hydrogéologique basée sur une pluie centennale – au-delà du cadre réglementaire – a été réalisée. Elle a permis d’identifier les points de débordement des bassins versants en amont susceptibles de menacer le bâtiment. Cette étude met en évidence le soin apporté au traitement paysager. Qu’il s’agisse des espaces ou du canyon intérieur, tout invite le voyageur à s’immerger dans les paysages réunionnais, tel le cirque de Mafate.

Benoît Joly

Fiche technique :

 

Cet article est extrait du magazine 5Façades 164 disponible sur Calameo.