De la verdure, des potagers, des ruches, des abris pour oiseaux… Campagnes miniatures, nos toitures deviennent les terrains de jeux favoris des architectes et paysagistes. De plus en plus souvent accessibles, elles se font rooftop, lieux de détente et de convivialité… Que la vi(ll)e est belle vue d’en haut.
Pour élus et promoteurs, aucun projet n’est aujourd’hui envisageable sans son rooftop. Autrefois simples zones d’accueil pour les inesthétiques antennes et gaines de ventilation, ces surfaces planes ont été progressivement valorisées. D’abord gadgets, dans un rôle d’emballage le jour de la livraison du bâtiment, elles sont devenues des partenaires sérieux dans la lutte contre le réchauffement climatique. Lieux de production d’énergie et de produits biologiques, elles ne se contentent plus aujourd’hui de réconcilier l’homme avec la nature, elles participent à son bien-être. En plein ciel, elles se proclament lieux de détente et de partage.
Rénovation de la Manufacture des tabacs de Strasbourg – Architecte Atelier Novembre, maître d’ouvrage La Sers, entreprise Soprema Entreprises : rooftop avec vue sur la cathédrale.
Photo : Vincent Eschmann
Du toit de chaume à la cocktail-party
On se souvient tous d’images de chèvres broutant sur les toits de Norvège. En Scandinavie, le toit végétal va de soi, et depuis toujours, tout comme en Islande ou sur les îles Féroé. Pour rafraîchir les maisons en été, on retrouve la même tradition en Turquie, en Mongolie. L’idée n’est donc pas nouvelle. Dès le Moyen Age, l’homme s’est abrité sous un toit d’herbe ou d’écorce jusqu’à l’apparition des tuiles au 19e siècle et du bois pour les églises et les édifices publics. Il faut attendre les années 1920-1930 pour que le toit, symbole de progrès et de modernité, sorte de l’ombre avec, notamment, le « toit jardin » de Le Corbusier. Vingt ans après, il s’incline. Face à la reconstruction et aux normes de l’habitat collectif, il est dédié à la maintenance, interdit d’accès. Dans les années 1990, les enjeux énergétiques et la notion de ville durable lui redonnent des couleurs.
Le vert est tendance, les citadins privés de nature et d’espace sont conquis. Plus que jamais depuis la crise de la Covid. La planète se réchauffe, la ville doit s’adapter. Il suffit de lever le nez, une partie de la solution se trouve là-haut : « Le phénomène s’est produit en deux temps. D’abord dans les années 2000 avec l’arrivée des toits plats en architecture, l’idée a germé de les végétaliser, plus par souci décoratif. Puis la croissance du solaire leur a donné une seconde vie qui s’est démultipliée à d’autres usages : bars éphémères, foot et basket, coworking. Depuis, c’est une tendance de fond », raconte Rodolphe Lefèvre, directeur général adjoint de Soprema Entreprises.
« La Confluence », Namur (Belgique) – BEE Architect et 3XN : toiture-esplanade de 3 000 m2, système toiture Elevate.
Photo : Philippe Piraux
Vendanges, tisanes et fruits rouges
Antoine Guibourgé, chargé du pôle conception au Studio Mugo, en est convaincu : les toits terrasses en ville sont des baumes antistress. « Ils pénètrent le marché du bien-être au travail. C’est un luxe pour les entreprises de proposer à leurs salariés une terrasse, où ils peuvent cueillir un bouquet de fleurs et le ramener à la maison, ils en sont fans ! » Ce paysagiste fourmille d’idées qu’il adapte en fonction des contraintes du site. Si celui-ci est limité à moins de 30 cm d’épaisseur de substrat (matière volcanique, tourbe, etc.), avec un minimum d’arrosage et d’entretien, il pioche dans une palette de végétations « extensives », voire « semi-extensives » : œillets, campanules, pourpiers, asters, sébums, thym ou encore rosiers et sauges arbustives.
Dernière trouvaille, des tisanes sur la terrasse du siège de Pernod-Ricard, à Paris : sur cet ancien immeuble rénové limité à 25 cm de substrat, l’agastache au goût anisé ou encore la louisa à l’odeur citronnée ont fait l’affaire. Bilan trois ans après ? « Nous comptons trente espèces de plantes aromatiques différentes et produisons six mille sachets de tisane par an destinés aux salariés qui peuvent aussi participer à la récolte. » Autre possibilité à l’étude sur les toits d’un futur parc d’affaires à Asnières, la culture de fruits rouges qui agrémenteront, plus tard, la pause-café des salariés.
Au-dessus de 30 cm de matière, tout est permis. Mais potagers et jardins « traditionnels » demandent alors beaucoup d’entretien et un poids de charge supérieur à 600 kg/m2. La végétalisation d’une toiture est soumise à des règles strictes : traitement antiracines et résistance en compression classée C sont obligatoires pour le complexe d’étanchéité, lequel comprend pare-vapeur, isolant et membrane.
Des écosystèmes intelligents
Porté par les industriels de l’étanchéité, le marché de la végétalisation explose depuis une quinzaine d’années. Avec l’arrivée de membranes d’étanchéité légères, résistantes aux racines, de substrats allégés et de systèmes intelligents de gestion de l’eau, les toitures plates aménagées se taillent une réputation de « sources de biodiversité » ou encore « d’îlots de fraîcheur ».
Selon l’Adivet (Association française des toitures et façades végétalisées), « ce sont des éponges qui réduisent le volume d’eau de pluie renvoyé vers les réseaux collectifs et, grâce à l’évapotranspiration de la végétation, elles rafraîchissent l’air de 3 à 5 °C, réduisent la température intérieure d’un bâtiment de 2 à 4 °C et les besoins en climatisation de 5 à 20 % ».
Et ce n’est pas fini. Selon ces experts, elles absorberaient entre 10 et 20 % de décibels et allongeraient la durée de vie de l’étanchéité – jusqu’à plus de dix ans. Un enjeu capital pour les communes qui peuvent obtenir des subventions de la part de l’Ademe (Agence de la transition écologique) dans le cadre de la loi Climat et Résilience de juillet 2023. Et parmi les priorités, la gestion des eaux pluviales.
Vendanges 2023 sur le toit d’un bâtiment de l’Hôtel de Ville de Paris.
Photo : Urbagri
Rooftop de la Maillerie, à Lille – Architecte paysagé Studio Mugo : 5 000 m2 de jardins, potager partagé, bar et animations au 7e étage des anciens locaux des 3 Suisses.
Photo : Studio Mugo Paysage
Détail du complexe d’étanchéité/isolation Rooftop Duo (BMI Group) utilisé pour le toit-terrain de sport du collège Emmanuel d’Alzon, près de Bordeaux.
Doc. : BMI
Retenir l’eau de pluie
Sur le toit d’un bâtiment administratif de l’Hôtel de ville de Paris, ancienne caserne napoléonienne, un vignoble produit, chaque année, entre 60 et 90 kilos de raisin : « Les pieds de vigne sont plantés dans 20 cm de terre dans des bacs d’une centaine de mètres carrés chacun. Le plus dur est de faire tenir les piquets ! » raconte Virginie Dulucq, fondatrice de Urbagri qui exploite la vigne : « Les façades autour constituent un microclimat et l’apport d’eau est suffisant. » À noter, lors de l’incendie de Notre-Dame, les grappes ont été analysées pour détecter d’éventuelles traces de plomb : « Par chance, les vents nous ont été favorables et ont éloigné le risque de pollution du vignoble. »
En attendant d’inaugurer un autre vignoble sur 800 m2 de l’hippodrome de Vincennes, Virginie Dulucq sert le jus de raisin rouge et blanc de sa production aux touristes de passage. Avant d’en arriver là, il a fallu préparer le terrain – une dalle en béton, ne l’oublions pas ! Tout d’abord, le renforcer par une membrane d’étanchéité antiracines, sur laquelle est posé un système de récupération d’eaux pluviales, une sorte de mininappe phréatique ou encore une « zone de vide » entre l’étanchéité et le substrat pour éviter le contact direct avec les végétaux (voir croquis).
Ce système innovant, appelé Wateroof Duo, permet à l’eau de séjourner dans les alvéoles et de constituer une réserve dans laquelle la plante peut puiser. Le recours à une pompe électrique est alors inutile : « C’est l’enjeu de demain de pouvoir retenir l’eau, afin qu’elle imprègne la terre au lieu de rejoindre les canalisations à toute vitesse. Notre dispositif est en plus revêtu d’un filtre qui permet de lutter contre la prolifération des moustiques », explique Nathalie Denizot, responsable marketing Toits Plats chez BMI Group.
Les mêmes plaques alvéolaires Siplast ont été associées au béton drainant de Lafarge pour répondre aux contraintes d’un terrain de sport sur le toit du collège Emmanuel d’Alzon, dans les environs de Bordeaux. Il fallait qu’après une forte pluie, les collégiens puissent profiter à nouveau de leur terrain de jeux sans qu’il soit inondé : « Les eaux de pluie sont directement drainées à travers le béton jusqu’à la structure alvéolaire, où elles sont retenues temporairement, évitant ainsi toute stagnation d’eau en surface. Pour ce système, appelé Rooftop Duo, nous sommes fiers d’avoir obtenu son évaluation technique via une Atex (appréciation technique d’expérimentation) attribuée par le CSTB. »
À Boulogne, rooftop du Métal 57 – Dominique Perrault Architecture : zone refuge de biodiversité de 2 500 m2 et 1 000 m2 de terrasse accessible.
Photo : Michel Denancé
Ça se passe là-haut
Pour l’architecte Eric Servas, directeur opérationnel chez DPA (Dominique Perrault Architecture), « le toit est devenu une figure de style incontournable, en particulier le rooftop de ville, ouvert à tous, un peu comme une place publique. C’est notre rêve de développer des espaces de déambulation, mais cela pose encore de gros problèmes de sécurité ». Parmi les exemples les plus aboutis, celui de l’ancienne poste de la rue du Louvre, à Paris. Derrière une façade en pierre de taille et une ossature métallique de type Eiffel, un ensemble de commerces, des bureaux, une crèche, des logements, le bureau de poste bien sûr, et enfin un hôtel et son rooftop où l’on peut boire un verre et se restaurer.
Originalité, une pergola façon Haussmann, recouverte de panneaux photovoltaïques, qui fournit électricité et eau chaude à une partie du bâtiment. Les eaux pluviales, quant à elles, sont récupérées pour le nettoyage et l’arrosage des cerisiers et plantes en bacs qui garnissent le toit. Malgré les contraintes qui pèsent sur les bâtiments anciens, eux aussi sont gagnés par la mode du rooftop. À Strasbourg, tout près de la cathédrale, la Manufacture des tabacs fermée en 2010 a prêté son look industriel du 19e pour une reconversion totale : se consacrer aux sciences et à l’art, et accueillir startups, école, auberge de jeunesse, avec vue plongeante sur le toit verdoyant d’un bâtiment central.
Soit 1 500 m2 ouverts au public, avec épicerie, snacking paysan, potager en circuit court pour le restaurant. Des produits nouveaux, comme des dalles en bois recyclé pour les 350 m2 de la terrasse du restaurant, et des travaux complexes pour répondre aux exigences des Architectes des bâtiments de France : « Nous avons arraché l’étanchéité et avons dû conserver les bandes de rive pour installer le nouveau complexe isolation/étanchéité. Un travail très minutieux », selon David Almelet, conducteur de travaux chez Soprema Entreprises.
Avec leurs airs de campagne, les toits végétalisés ont un rôle à jouer dans la transition énergétique. À condition de leur consacrer une haute technicité et beaucoup de soins, ces habiles outils marketing pourront tenir leurs promesses et les promoteurs continuer à nous en mettre plein la vue.
Josée Blanc Lapierre
Cet article est extrait du n°162 du magazine 5Façades disponible sur Calameo.