Tout en boîtes, tel est le bâtiment abritant la médiathèque et les archives municipales de Pontivy. Une construction qui, sous une apparente simplicité, affiche une conception intelligente où la technique discrète s’efface au profit des qualités esthétiques et d’usage.

Loin du bâtiment massif et institutionnel, la médiathèque de Pontivy (56), ville médiévale mais aussi napoléonienne – elle se nomma un temps Napoléon Ville –, revendique, au contraire, une identité légère et lumineuse. Réalisée par le cabinet Opus 5 architectes, elle fait un lien entre un tissu urbain hérité du 19e siècle, avec ses rues au cordeau, et le cadre bucolique du Blavet croisant le canal en un jeu d’écluses et de passerelles. « Le site était à la fois intéressant et désespéré parce que, justement, ce trait d’union n’était pas évident. Le bâtiment réussit pourtant à l’établir, entre un accès très facile par la grande avenue et un regard sur le Blavet », explique Bruno Decaris, architecte en charge du projet. L’environnement immédiat était parfois un peu rude : un palais des Congrès datant des années 1970, des artères bordant la parcelle. Bref un ensemble hétéroclite qu’il fallait « réconcilier ». Implantée en place d’une ancienne et vétuste bibliothèque, détruite à cette occasion, la médiathèque est adossée, côté nord, à un mur qui traduit la limite de propriété. À l’est, elle regarde la ville, l’appelle ; à l’ouest, elle capte la sérénité du canal, paysage immuable. Deux perspectives qui structurent l’ensemble.

Photos : Luc Boegly

Un sas entre le dehors et le dedans
« Ce n’est pas seulement une médiathèque, c’est aussi un centre des archives. Il y a donc deux composantes : l’une assez intime et étanche, les archives municipales ; l’autre, plus ouverte, destinée à accueillir un public, la médiathèque », souligne Bruno Decaris. Un lieu de mémoire ancré dans son époque, où passé et présent se répondent. Troisième donnée qui a orienté le choix architectural : la configuration du terrain tout en longueur, avec un vis-à-vis pas très séduisant : le parking. « La voiture fait partie de notre civilisation, mais ce n’est pas ce qui nous fait 

rêver non plus, épilogue Bruno Decaris. L’idée a donc été de créer un entredeux sur toute la longueur de la façade sud. D’où ce profilé contemporain, assez classique somme toute, qui crée un espace intermédiaire, lequel n’est ni à l’intérieur ni à l’extérieur. » Un sas entre le dehors et le dedans, qui prolonge le calme et l’intimité du lecteur. Lorsque le regard s’échappe, il n’est pas dans la réalité, cette zone tampon emmène la pensée ailleurs… Une sorte d’échappatoire… La façade n’est plus une limite, c’est un filtre », précise l’architecte.

La médiathèque de Pontivy, une construction de 2 400 m2, moderne et lumineuse, conçue sur le principe des boîtes gigognes. Photos : Luc Boegly

Igloos de béton
Cet entredeux symbolique est physiquement délimité par de fins portiques en acier disposés selon une trame serrée. D’où un effet cinétique important. En phase concours, ils avaient été imaginés en bois, « mais j’étais sceptique,confie Bruno Decaris. Je sais comment ce matériau vieillit. Il grise ! Et, sur un équipement public, c’est assez vite lugubre et très mal ressenti ». C’est l’acier qui sera donc retenu… À même le sol de cette bande devenue jardin émergent deux structures ovoïdes, sorte d’igloos ou de galets qui semblent pénétrer la paroi vitrée de la médiathèque : « Ce sont des 

espaces fermés, isolés. Le plus petit est consacré à l’heure du conte – dans les médiathèques, on a toujours ce moment-là. Il y a une dimension de cocon », souligne l’architecte. Le plus grand (100 m2) est une salle d’exposition ou de conférences. Igloos ? Galets ? Œufs ? Peu importe le qualificatif… Leur toucher doux et poli attire, les identifie comme des refuges, tandis que leurs courbes cassent par contraste la succession de droites que forment les portiques. Englobant dans une seule entité le bâti et son prolongement extérieur, lesdits portiques constituent une première boîte qui vient coiffer un parallélépipède vitré. Là, sur toute la longueur de cet espace vitré, se déploient deux grands plateaux inondés de lumière, dédiés aux publics – accueil et lecture. En partie haute, un plancher qui semble en lévitation court, lui aussi, sur toute la longueur (encadré).

Points forts / 

Trait d’union dans un tissu urbain hétéroclite / Contrôle des apports solaires / Ventilation naturelle

Le jardin tout en longueur évite la confrontation directe avec le parking. Photos : Luc Boegly
Constitués d’une structure métallique revêtue d’une coque en béton thixotrope, les deux igloos abritent, pour le plus petit, l’heure du conte, pour le second, conférences et expositions. Photos : Luc Boegly
Partant de la boîte opaque des archives et bureaux, les 62 portiques – des profils reconstitués soudés (PRS) en acier – enjambent les zones intérieure et extérieure pour en faire un espace unique. Photos : Luc Boegly
Les portiques, par leur trame répétitive, cassent les rayons lumineux en façade. En partie horizontale, des brise-soleil fixes ont été installés.Photos : Luc Boegly
Constitués d’une structure métallique revêtue d’une coque en béton thixotrope, les deux igloos abritent, pour le plus petit, l’heure du conte, pour le second, conférences et expositions. Photos : Luc Boegly
La fine épaisseur des portiques (10 cm environ) et leur entretoise relativement étroite (1,08 m) créent un important effet cinétique. Photos : Luc Boegly
Composée d’un plancher en bois, la mezzanine, dédiée à la musique, se déploie sur toute la longueur du bâtiment et contourne l’igloo principal. Photos : Luc Boegly

 

Des boîtes gigognes
La première enveloppe compte 62 portiques composés de profils reconstitués et soudés (PRS) en acier (environ 10 cm d’épaisseur), lesquels sont habillés de tôle thermolaquée à effet nuagé et disposés selon une entretoise de 1,08 m. Partant du bloc des archives et des bureaux, elle enjambe les espaces intérieur et extérieur de la médiathèque et forme un espace tampon qui fait office de jardin. Empiétant sur le jardin et la médiathèque, les deux « igloos », ou « galets », ont été réalisés dans une coque en béton thixotrope posée sur une structure métallique. Deuxième boîte, le parallélépipède vitré est constitué de vitrages à rupture de pont thermique et à faible émissivité. En hauteur, le plancher en bois, entièrement suspendu aux poutres supérieures par une succession de très fines barres d’acier, semble en lévitation. Cette mezzanine, qui court sur toute la longueur du bâtiment, tourne autour du galet principal émergeant en partie haute. Les passerelles font office, elles, de contreventement et assurent la stabilité de l’ensemble. Située juste derrière le galet principal, la troisième boîte, en béton, est celle des archives, bureaux et services techniques. Sa paroi commune avec l’espace de lecture, rythmée par des volets de béton blanc préfabriqué à une face matricée, permet d’adapter l’éclairage aux locaux qu’elle abrite.


 

La mezzanine est suspendue aux poutres supérieures par une succession de très fines barres d’acier ; les passerelles d’accès en assurent la stabilité. Photo : Opus Architectes

Lumière naturelle habilement filtrée
Contre la limite séparative au nord, la troisième boîte, fermée, minérale, est dédiée aux archives, espaces techniques et bureaux du personnel. « L’idée générale, c’était aussi les boîtes gigognes… », rappelle Bruno Decaris. La façade intérieure de ce côté mitoyen, en béton préfabriqué, figure de grands livres toute hauteur. Entre chacun d’eux, un vitrage transparent laissant une faille de lumière naturelle qui éclaire les bureaux derrière, ou alors un faux vitrage. En complément, des éclairages ont été intégrés aux verticales de béton. « C’est bien ces livres. On se dit « quelque chose se passe derrière », ça ouvre… On ne bute pas sur un mur », justifie Bruno Decaris. Au chapitre éclairage, la part belle a été donnée à la lumière naturelle. Omniprésente, elle est modulée et filtrée en un habile jeu d’ombre et de clarté. En couverture, par exemple, la toiture a été ouverte dans la partie surplombant les bureaux. Sur la surface sud, la trame serrée des portiques vient casser les rayons du soleil, répondant ainsi naturellement à la problématique de l’ensoleillement et des apports solaires – la façade est presque au sud. En partie horizontale, en revanche, des brise-soleil fixes ont été installés. Les pignons, à l’est et à l’ouest, sont équipés, quant à eux, de stores déroulants motorisés.

Fragmentation de la structure
Tout aussi naturelle, la ventilation : « On a un système d’autorégulation avec les deux façades est et ouest, dotées de double épaisseur. » Pas de système mécanique de rafraîchissement du grand volume, les entrées d’air sur la façade principale autorisent une ventilation naturelle, tandis que l’air chaud est évacué via la verrière zénithale. Toute la légèreté de l’ensemble réside dans cette fragmentation de la structure et cette décomposition en éléments de fines sections, qui donnent à voir différents cadres, visions, horizons. De même, c’est la structure qui fédère toute l’organisation du bâtiment. Chaque boîte affiche clairement sa fonction à travers sa composante dominante – les archives et bureaux derrière l’opacité lourde et minérale d’un béton matricé ; les lieux publics baignés d’une lumière naturelle habilement distribuée ; le jardin ménageant une zone tampon entre la médiathèque et la réalité du dehors. Seul « léger » regret de l’architecte : « On avait prévu un plan d’eau au départ. Mais tout le monde s’est arc-bouté : “Il va y avoir des fuites, c’est toujours dégueulasse, ça demande de l’entretien…” On a donc laissé tomber… C’est le rêve des architectes : un bâtiment posé sur l’eau. »

Sophie Bouillard


 

Bruno Decaris, architecte
Un plancher suspendu qui maintient tout « Les lieux publics et, à fortiori, les bibliothèques n’ont plus l’échelle qu’ils devraient avoir. Nous sommes très contraints par les bibliothécaires qui ne veulent plus d’étagères excédant le mètre quatre-vingts. Ce sont désormais des meubles bas. Du coup, la présence du livre est terriblement affaiblie, si l’on compare aux anciennes bibliothèques – tout en bois avec des escabeaux courant le long de rails – où sa présence était, au contraire, formidable. On en a fait une comme ça sur trois niveaux avec des planchers totalement transparents – il y avait donc une mise en abîme du livre. Ici, les livres étant limités dans leur volume, il a fallu trouver de la place. D’où la nécessité de créer un niveau supplémentaire, cette mezzanine. Comme il y avait la structure de 

portiques qui partait à l’extérieur et revenait refermer cet espace, lui créant ainsi une limite, on a considéré que cette mezzanine – en fait un étage entièrement suspendu – allait tout tenir. Ce n’est pas spectaculaire puisque ça ne se voit pas du tout. Mais, en réalité, le chantier était assez performant. On a donc suspendu ce plancher, il est comme en apesanteur au-dessus des ouvrages… »


 

Maître d’ouvrage : Ville de Pontivy (56)

Maître d’oeuvre : Opus 5 Architectes


 

 

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