Octobre 2024 est riche en événements parisiens, liés au bâtiment. D’abord Batimat, du 30 septembre au 3 octobre porte de Versailles, puis le Sibca, Salon de l’immobilier bas carbone, du 7 au 9 octobre au Carrousel du Louvre, et enfin Architect@work les 23 et 24 octobre à la Grande Halle de la Villette. Trois plateformes incontournables pour explorer les innovations, qu’il s’agisse de matériaux et de conceptions bas carbone, d’architecture et d’urbanisme, ou de rénovation.
Face aux enjeux climatiques et à l’engagement de la France, le secteur du bâtiment est en mutation, de nouveaux matériaux et des conceptions architecturales renouvelées redéfinissent l’enveloppe des bâtiments, en conciliant performance thermique été comme hiver, diminution de l’empreinte carbone, et bien sûr design.
Dossier réalisé par Stéphane Miget
Interview : Stéphane Hameury, directeur opérationnel de la direction « Enveloppe du bâtiment » du CSTB
Dans un contexte de transformation profonde du secteur du bâtiment, Stéphane Hameury, directeur opérationnel de la direction « Enveloppe du bâtiment » au CSTB, décrypte pour 5façades les grandes tendances qui façonneront l’enveloppe des bâtiments des prochaines années. Entre le réemploi des matériaux, la prise en compte du défi climatique, l’essor des solutions bio-géosourcées, la réforme de l’ATEx et la quête d’une meilleure performance environnementale, il dessine les nouvelles perspectives pour la construction neuve et la rénovation.
Propos recueillis par Stéphane Miget

Stéphane Hameury, directeur opérationnel de la direction « Enveloppe du bâtiment » du CSTB.
Photo : Raphaël Dautigny
Quelles sont les grandes tendances qui se dégagent dans l’enveloppe du bâtiment, plus particulièrement en façade ?
Il convient de segmenter ces grandes tendances par thématiques. On peut en citer trois. La première se rattache à la question de l’économie circulaire au travers du réemploi et du recyclage. C’est une tendance de fond que l’on voit très clairement se développer depuis deux ans, confirmée par les demandes d’évaluation, telles que les ATEx. J’y reviendrai plus tard. La deuxième est le recours de plus en plus fréquent aux matériaux biosourcés, tendance que j’élargis aux matériaux géosourcés. Cette orientation forte vers l’usage de matériaux bio-géosourcés est associée à des logiques de circuit court avec la recherche de matériaux disponibles localement. En effet, la notion de « disponibilité locale » remet en question nos modes de conception et la manière dont nous faisons reconnaître la performance. La question sous-jacente est : comment évaluer, interpréter et exploiter les performances d’un matériau que l’on extrait localement et que l’on utilise immédiatement, sans forcément passer par un processus industriel ? Cela remet en question les méthodes d’évaluation traditionnelles et questionne notre capacité à caractériser localement, au plus proche du chantier, les performances attendues d’un système constructif. La troisième tendance est la recherche de nouvelles fonctionnalités pour les enveloppes des bâtiments. Au-delà du clos et du couvert, l’enveloppe participe fortement à la qualité des environnements intérieurs (confort thermique, qualité de l’air, environnement acoustique et lumineux…). S’agissant du confort d’été, la conception des enveloppes s’intéresse par exemple à l’intégration de systèmes de brise-soleil de plus en plus techniques ou des technologies telles que des revêtements de peintures ou membranes réfléchissantes qui renvoient les rayonnements solaires vers l’extérieur. Concernant les systèmes réfléchissants plus particulièrement, nous notons un réel engouement, mais encore peu de produits reconnus sur le marché. Sur ces sujets, le CSTB participe en amont à l’évaluation de travaux de R&D afin d’objectiver la performance de ces systèmes à l’échelle du bâtiment, tant d’un point de vue technique (confort, consommation d’énergie, impact sanitaire…) qu’économique.
Sur la recherche de fonctionnalités, vous incluez le photovoltaïque dans cette enveloppe ?
Oui, on le voit apparaître même dans les listes de réemploi. Par exemple, des panneaux photovoltaïques récupérés sur des toitures ou couvertures sont réutilisés dans des systèmes de bardage, en parois verticales. Cela reste anecdotique pour l’instant, mais il y a quelques demandes. Autre fonctionnalité : les systèmes de toiture qui permettent non seulement d’étancher la toiture et d’évacuer l’eau, mais aussi de capter l’eau, notamment lors de fortes pluies ou d’orages violents. Certains systèmes commencent à émerger, comme des tuiles de couverture avec des poches de stockage : la pluie, au lieu de ruisseler sur les tuiles, est stockée dans ces poches pour différer l’évacuation dans les réseaux et éviter l’engorgement. De nombreuses start-up travaillent sur ces sujets, aussi bien sur les toitures plates que sur les couvertures inclinées.
La rénovation est-elle également au cœur des innovations ?
C’est un enjeu très fort pour toutes ces tendances. Les demandes qui nous sont adressées concernent presque exclusivement la rénovation, et non plus le neuf. Le véritable sujet de l’enveloppe aujourd’hui, c’est la rénovation et la manière d’utiliser ou de combiner toutes ces tendances dans des projets intégrant plusieurs logiques : utilisation de matériaux locaux, biosourcés en masse, mais aussi une préfabrication forte et lourde. Nous avons récemment délivré plusieurs ATEx pour des rénovations à l’échelle de quartiers, comme les tours Nuages à Nanterre. L’innovation s’intéresse aussi à l’optimisation de la mise en œuvre. Un énorme travail de réflexion et d’analyse est en cours pour faciliter les principes de montage et le cadencement de mise en œuvre dans des quartiers habités, avec l’objectif de minimiser la présence sur le chantier tout en maîtrisant la qualité de pose.
Cela implique-t-il une réflexion sur les nouveaux modes opératoires, avec la préfabrication qui gagne du terrain ?
Au-delà du système préfabriqué, qu’il s’agisse d’une façade à ossature bois, métallique ou isolante avec bardage, l’innovation réside principalement dans les systèmes d’assemblage, notamment dans le rail-support qui facilite et accélère la pose. Concrètement, la partie préfabrication, surtout pour les façades à ossature bois, est aujourd’hui bien maîtrisée en atelier. Il s’agit d’une tendance lourde devenue un standard lors de la construction du village des athlètes, et cette tendance se démocratise de plus en plus en France. Depuis quelque temps, dans les comités d’ATEx que je préside, on se concentre tout autant sur le complexe que sur les systèmes d’assemblage et de montage. Les structures secondaires, qui vont supporter les éléments de bardage ou les éléments préfabriqués, sont davantage travaillées dans une logique d’optimisation des phases de chantier.
Détaillons le réemploi. Parfois, on a du mal à savoir s’il s’agit d’une réelle tendance ou d’un peu de communication de la part des acteurs, une manière de dire « regardez comme nous sommes vertueux ».
Personnellement, je vois le réemploi comme une période intermédiaire, un tampon avant que les industriels ne s’organisent en matière de récupération de leurs produits et de recyclage dans leurs filières industrielles. Comme ces filières ne sont pas totalement prêtes ou qu’elles montent en maturité, le réemploi peut être une bonne solution transitoire. Mais je ne saurais dire à date s’il s’agit d’une solution pérenne dans le bâtiment. Pour le moment, nous avons quelques exemples de réemploi dans les enveloppes du bâtiment. Personnellement, j’ai vu passer deux techniques : la tour Ariane, et, de manière plus anecdotique mais sympathique, une ATEx récente concernant le réemploi des éléments verriers du Centre Pompidou pour le parking à vélos de la gare du Nord. Cette forme de réemploi direct a obtenu un avis favorable en ATEx cas B. Par ailleurs, de nombreuses demandes d’ATEx concernent actuellement le réemploi de revêtements de bardages extérieurs, comme sur le chantier du conservatoire de musique Frédéric-Chopin (Paris, 15e), où des marbres seront réutilisés en bardage extérieur. Ce chantier devrait commencer en janvier 2025.
Le réemploi soulève la question de l’assurabilité et de la durabilité dans le temps…
L’assurabilité est un aspect extrêmement important. Il y a eu une modification récente de la posture des assureurs, notamment à travers les travaux de l’AQC (Agence qualité construction), qui a mis à jour son système de reconnaissance en technique courante des technologies. Certains guides de réemploi font désormais l’objet d’une reconnaissance en technique courante. De nombreux guides ont été définis, et pour les produits de l’enveloppe, en extérieur, le projet Spirou (Sécuriser les pratiques innovantes de réemploi via une offre unifiée) porté par le CSTB est particulièrement en vue. Ces guides sont de plus en plus reconnus par l’AQC et permettent ainsi l’assurabilité. Soit on suit cette stratégie, soit, pour des projets plus anecdotiques, on adopte une logique d’ATEx. La logique du réemploi vise plutôt une reconnaissance collégiale via la publication de guides, suivie d’une valorisation par les règles de la C2P (Commission prévention produits) au sein de l’AQC. Il existe aussi des industriels impliqués dans le réemploi, bien que, pour des raisons de confidentialité, nous ne puissions pas encore les nommer. C’est notamment le cas pour les bardages en fibrociment, des produits suffisamment robustes pour s’inscrire dans une logique de réemploi. Certains industriels, déjà détenteurs d’Avis techniques sur ces produits, travaillent actuellement à des demandes d’évaluation supplémentaires – ATEx, ATec – pour améliorer le diagnostic, la dépose, le transport, le reconditionnement, le stockage et la remise en œuvre de leurs propres produits. Ils entrent ainsi dans des logiques d’évaluation en lien avec le réemploi. Ces produits devraient être disponibles d’ici six mois à un an maximum. Il y a donc une réelle dynamique autour du réemploi, même si je pense, à titre personnel, qu’il s’agit peut-être d’un passage obligé vers autre chose. Cela constituera un marché. Toutefois, affirmer qu’il deviendra dominant à court terme me semble prématuré. Nous verrons aussi comment se structureront les centres de reconditionnement. Il est essentiel que ces derniers soient bien répartis géographiquement pour permettre un réemploi localisé. Reconditionner des produits pour les envoyer à l’autre bout de la France peut poser question en termes d’intérêt et de pertinence. Prenons l’exemple de la stratégie d’un industriel qui se concentre sur le recyclage des produits verriers, en augmentant progressivement la part de calcin dans la fabrication des nouveaux verres. Le calcin était déjà utilisé auparavant, mais il s’agissait de chutes de fabrication. Désormais, les industriels du verre intègrent de plus en plus des matériaux extraits des chantiers de construction dans la production. C’est une tendance qui risque de se développer de manière notable.

Vue du village des athlètes à Saint-Denis (93), lieu d’expérimentations et d’innovations en façade. Photo : Stefan Tuchila
Un autre sujet, dont on a beaucoup parlé avec les JOP, est celui des FOB (façades à ossature bois). S’agit-il aujourd’hui de produits matures ? Va-t-on vers un développement de techniques courantes pour les FOB intégrées ?
Ces techniques, bien que très anciennes, gagnent en maturité. Des logiques industrielles se développent, et de nombreuses évaluations permettent à ces produits d’obtenir une reconnaissance en technique courante. Si la question est de savoir quand cette reconnaissance deviendra une norme traditionnelle, sans passer par une évaluation, je ne peux pas donner de calendrier. Il reste encore quelques points à traiter, notamment les compatibilités entre différents revêtements extérieurs et les façades FOB. Ces aspects doivent être analysés finement, surtout en ce qui concerne la déformation et l’interaction entre le support, la FOB et le revêtement extérieur. Les acteurs doivent encore acquérir certaines compétences avant de pouvoir pleinement adopter ces techniques. Il est important de ne pas faire de raccourcis en pensant que l’existence d’un référentiel signifie automatiquement la reconnaissance en technique traditionnelle. Le sujet est autant technique qu’organisationnel. Il faut que les équipes de conception et de mise en œuvre s’approprient ces produits, même s’ils disposent d’un référentiel. Lors de la construction du village des athlètes, on a vu très peu d’ATEx qui ne dérivaient pas des référentiels établis. Cela montre que, malgré tout, la maturité n’est pas totale. Il est crucial de faire converger les pratiques et les savoir-faire pour que l’expérience acquise devienne réellement reproductible.
Et en ce qui concerne les façades-rideaux, constatez-vous des innovations ?
Il n’y a pas énormément d’innovations majeures. On revient parfois à des techniques anciennes, comme les façades double peau, qui avaient été mises de côté ces cinq dernières années, mais qui reviennent à l’ordre du jour. Les efforts se concentrent principalement sur l’amélioration de l’impact carbone. Certains façadiers développent des façades mixtes intégrant du bois côté intérieur. D’autres, quant à eux, se penchent sur le recyclage de l’aluminium et du verre.
Nous n’avons pas abordé la réforme de l’ATEx. Pourquoi une telle réforme, et pouvez-vous nous en donner les grandes lignes ?
Ce n’est pas tant la réforme au sens de la procédure qui est essentielle, mais plutôt le repositionnement de l’ATEx comme outil dans un écosystème complexe. Je m’explique : trop souvent, lorsqu’il y a une demande d’ATEx – et malheureusement, il n’y en a pas suffisamment pour accélérer collectivement la reconnaissance en traditionnalité des innovations –, celle-ci arrive beaucoup trop tard dans le cycle de réalisation d’un projet de construction. Trop souvent, elle intervient après la phase DCE en exécution, lorsque les entreprises sont déjà désignées et que le chantier doit démarrer une ou deux semaines après. À ce stade, tout le monde est pressé, et on n’a plus le temps de faire une analyse correcte sur l’innovation en question. C’est le premier constat. Le second est qu’une fois l’ATEx délivrée, la reconnaissance en technique courante et son assurabilité sont acquises, et on considère que l’objet est clos et que l’ATEx a accompli son rôle. L’ATEx, comme son nom l’indique (Appréciation technique d’expérimentation, ndlr), a vocation à accompagner l’expérimentation. Cela signifie, en premier lieu, qu’il faut s’y préparer très en amont. En ce sens, la réforme a mis en place des outils qui devraient permettre de transférer les demandes d’ATEX plus tôt, en phase de conception, quitte à ce qu’elles soient portées par des équipes de maîtrise d’ouvrage, voire des aménageurs, et non systématiquement par des entreprises. Ainsi, elles pourraient servir de cahier des charges, d’appui au CCTP ou autre, lors du dossier de consultation des entreprises. Elles deviendraient donc un outil fonctionnel au service de l’organisation de la maîtrise d’ouvrage. Bref, il s’agit d’utiliser l’ATEx comme un outil dans l’écosystème et, toujours dans cet écosystème, de se servir de ce référentiel dans une logique de capitalisation et de retour d’expérience. Aujourd’hui, une fois l’ATEx formulée, il ne se passe plus rien. Or, ce que nous voulons instaurer, lorsqu’un chantier est réalisé suivant une ATEx de cas A, c’est de faire remonter lorsque c’est possible, via une plateforme, les informations concernant les chantiers associés à l’ATEx afin que le CSTB puisse capitaliser sur l’ensemble des références qui se sont appuyées sur l’ATEx. L’idée est que, au moment où l’innovation bascule éventuellement en Avis technique, ces références aient déjà été discutées, partagées et soient reproductibles. Il y a ainsi le souhait de renforcer la dimension du retour d’expérience, dans la mesure où l’ATEx pourrait être complétée par des logiques de suivi : suivi de chantier, d’exploitation, de fabrication. Concrètement, il s’agit d’essayer, par des mesures ou des contrôles visuels, d’apprendre pendant la phase chantier et aussi durant l’exploitation du bâtiment, avec une organisation méthodique pour assurer une remontée d’informations. Bref, qu’une boucle soit créée pour permettre la révision des ATEx – ce qui est désormais possible. De sorte que l’expérimentation vienne renforcer l’apprentissage, la montée en maturité de l’innovation, afin de basculer de manière sécurisée vers la traditionnalité. Après trois ou quatre boucles, cela pourrait aboutir à un référentiel sous forme de règle professionnelle, une recommandation qui bénéficierait à l’ensemble du collectif. C’est cette idée que nous poursuivons.

Rénovation énergétique selon la démarche EnergieSprong avec un système de façade à ossature bois. Ensemble de logements à Saint-Herblain (44), Atlantique Habitations. Photo : Alteresco
En fait, vous allez plus loin sur le retour d’expérience ?
Oui, je voudrais que nous sortions de la seule logique où l’ATEx est simplement sollicitée comme « un permis de faire ». L’idée est de l’utiliser comme un outil au service de l’écosystème, en amont et en aval de la réalisation du chantier.
Y a-t-il autre chose que vous souhaiteriez ajouter ?
Oui… Le changement climatique va avoir un impact sur la conception des ouvrages et ceux-ci devront être adaptés. Cela a aussi des répercussions sur l’évaluation, parce que tous nos référentiels, qu’ils soient d’essais ou d’évaluation, ont été calibrés selon les conditions climatiques des cinquante dernières années. Par exemple : le delta de température de 15 °C à ne pas dépasser derrière votre vitrage. L’enjeu est donc énorme puisqu’il s’agit de reprendre l’ensemble de nos référentiels et de les requestionner à la lumière de ces changements climatiques, afin de les adapter et de faire en sorte que nos évaluations de demain – et c’est vraiment demain – soient capables de formuler des avis pertinents pour les produits innovants qui seront encore en place dans cinquante ans. Ces produits devront faire face aux impacts du dérèglement climatique. Il est crucial de se projeter dans l’avenir, et actuellement le CSTB mène un vaste travail interne de révision de tous ces référentiels (CSTB, normes…) utilisés dans les processus d’évaluation pour vérifier s’ils sont toujours adaptés. Dans le cas contraire, il faudra proposer des évolutions aux normes ou dans la révision des CPT ou autres. C’est un gros travail de fond. Si nous ne le faisons pas, nous risquons de continuer à formuler des avis positifs sur des produits innovants qui n’auront peut-être plus leur place dans vingt ou trente ans, car incapables de répondre aux défis climatiques
C’est une manière de se projeter à long terme ?
Oui, de se projeter dans le temps. L’évaluation est souvent perçue sur le court terme, celui de l’assurabilité (garantie décennale). Mais l’ouvrage, lui, est construit pour vingt-cinq ans ou plus. Il est donc impératif que nos évaluations prennent en compte ce temps long pour rester pertinentes, en particulier dans une période où le changement climatique nous impose d’adapter nos référentiels et de projeter l’évaluation sur le cycle long du bâtiment.
Cet article est extrait de 5façades n°168, disponible en version numérique