L’architecte Manuelle Gautrand signe la rénovation, l’extension et l’intégration paysagère des anciennes Galeries Lafayette d’Annecy. Après plus de douze ans d’études, de négociations et de travaux, les Nouvelles Galeries se déploient en corolle pour offrir deux fois plus de surface et de services. Paré de vitrines en écailles, le bâtiment redessine les contours de tout un quartier.

 Vue en surplomb du bâtiment circulaire de 1969 et de ses extensions en grappe. La jonction des façades courbes dégage des vides où sont agencées des placettes animées, lumineuses et plantées.
Photo : Luc Boegly

En 1969, l’architecte Antoine Bory livre, pour les Galeries Lafayette, un immense bâtiment de béton brut, en rupture totale avec l’architecture traditionnelle des commerces. À Annecy, la construction s’érige dans une zone périurbaine, bientôt rejointe par l’édification d’immeubles de logements tout autour.

Là, avenue Parmelan, sur la bosse d’un terrain, l’architecte dessine d’abord un volume cubique et aveugle. Ensuite, il encercle le grand magasin d’un gigantesque anneau sur pilotis, couronné d’un « Galeries Lafayette » en lettres capitales. Fixé en aplomb de l’unique entrée, cet emblème restera gravé dans la mémoire des Anneciens.

Le bâtiment ressemble à une soucoupe en lévitation : 152 m de diamètre et 477 m de circonférence ! L’anneau abrite un premier niveau de parking aux allures de turbine à ailettes, puis un second niveau en toiture-terrasse. Sur le flanc est de la parcelle, la rampe d’accès aux véhicules évoque, en plus petit, l’emblématique musée Guggenheim que Franck Lloyd Wright a construit à New York… dix ans plus tôt. L’époque et l’architecture sont alors marquées par le règne de la voiture.

Vue avant travaux : dressée sur pilotis, l’arène futuriste en béton brut de 1969 présentait une façade courbe abritant deux niveaux de parking.

« Bâtiment remarquable du xxe siècle »

L’un des niveaux de stationnement de l’anneau est ceinturé par 365 brise-vues en béton torsadé, qui confèrent à l’édifice l’aspect monumental d’un temple solaire. En pleine continuité avec les anciens trottoirs, l’espace du rez-de-chaussée sous dalle, lui, compte alors autant de pilotis que de semaines dans l’année, soit 52. Mais comme la plupart des grands magasins construits à cette époque, c’est un bâtiment introverti, peu tourné sur la ville et difficile d’accès pour le piéton. Pensés à l’origine pour être libres de construction, les espaces entre les pilotis ont fini par être comblés, année après année, par des enseignes aux devantures disparates.

Un bricolage s’est alors improvisé, y compris à l’extérieur, avec un mélange de terrasses, d’espaces plantés, une grande quantité d’enrobés de stationnement. Chère aux Anneciens pour son caractère populaire, cette construction d’envergure, étrangement peu documentée, a reçu la distinction de « bâtiment remarquable du xxe siècle ». Et est donc soumise à l’avis des Architectes des bâtiments de France (ABF) pour sa transformation.

Elle présente un plan circulaire atypique dans l’histoire de l’architecture commerciale mais qui constitue un extraordinaire terrain de jeux en matière de typologies d’espaces à inventer. Par son échelle, la transformation du grand magasin s’est muée en opération plus vaste, à dimension urbaine. Elle porte en elle les bouleversements qui ont traversé la dernière décennie : après une pandémie, la modification des comportements d’achat face au commerce en ligne et la remise en cause de la place de la voiture en ville, elle incarne une nouvelle génération de mall, entre halle de marché sous cloche et centre urbain de loisirs, avec restauration et commerces.

La vitrine de magasin est ici traitée à très grande échelle en mur-rideau courbe. Avec une réflexion sur la signalétique le jour, et l’éclairage qui réinvente la vie nocturne du quartier.
Photo : Luc Boegly

D’un grand magasin, une ville

Quand, au début des années 2010, débutent les esquisses pour Citynove (Groupe Galeries Lafayette), l’architecte Manuelle Gautrand va non seulement optimiser et étendre le bâtiment initial, mais également repenser le tissu urbain en exploitant les anciens abords. En passant de 17 500 à 27 500 m², la surface est presque doublée. « On a densifié et cherché les fronts bâtis, car on n’avait pas le droit de construire au-delà d’une certaine hauteur », raconte l’architecte.

Les concertations avec les ABF et les services de la ville s’étendent sur plusieurs années : les études se poursuivent jusqu’en 2017 puis les travaux démarrent en 2019 pour une livraison en 2022. Dès l’origine, le projet porte en lui un programme innovant puisqu’il réunit une quarantaine de boutiques et restaurants, ainsi que des services : on y trouve La Poste, un laboratoire d’analyses médicales, des brasseries valorisant les produits locaux…

« On voulait faire de ce projet un petit quartier animé chaque jour de la semaine », poursuit l’architecte, qui regrette toutefois que certaines propositions – telles la création d’un hôtel sur le flanc est ou l’édification de petites maisons sur le dernier niveau de parking – n’aient pas été retenues pour affirmer la mixité programmatique des lieux.

D’un bâtiment circulaire, une constellation d’extensions

Le bâtiment originel, avec ses brise-vues torsadés, inspire la forme des extensions. Au total, six volumes circulaires sont greffés à l’existant, en grappes, le long des façades ouest, sud et sud-est. De différents diamètres, avec des rayons allant de 15 à 30 mètres, ces six « satellites », parfois tronqués en limite de parcelle, font corps avec le vaisseau-mère, afin que l’ensemble du projet et ses agrandissements ne fassent plus qu’un.

Parfois, ces volumes se superposent, légèrement désaxés, formant deux niveaux : ils jouent des décalages pour composer des auvents en porte-à-faux ou libérer des terrasses en toiture… sans jamais obstruer la vue sur le bâtiment originel. Le positionnement de « satellites » sur la parcelle, à même le sol, permet la formation de replis qui dessinent les trois entrées principales, et de creux qui génèrent des placettes extérieures.

L’entrée sud est notamment marquée par un emmarchement sur lequel on peut s’asseoir par beau temps. Mais une fois les gabarits posés et le schéma distributif inventé, il fallait déterminer pour ce bâtiment tout en courbes, un système de façade-vitrine unique, à la fois pratique (en matière de pose et d’entretien) et économique. Avec un vitrage bombé, le projet aurait sans doute évoqué le musée d’Art contemporain du xxe siècle que l’agence japonaise Sanaa a édifié à Kanazawa. Mais le traitement en verre facetté ou des vitrages contigus, à l’image d’une boule disco, se révélait inapproprié.

L’architecte a donc opté pour la répétition de châssis fixes en aluminium anodisé gris, posés en écailles. Ainsi, le rythme régulier des éléments verticaux rappelle l’aspect cinétique des brise-vues du parking d’origine. Par ailleurs, à l’exception de la face nord dédiée à la logistique, le projet ne compte aucune façade aveugle : tous les vitrages sont transparents et de teinte claire, sertis entre les dalles haute et basse en béton. Ces trames verticales viennent donc dérouler environ 382 ml (mètres linéaires) de vitrage sur le pourtour du bâtiment.

 Non porteurs et dissimulant un niveau de parking, les 365 brise-vues en béton torsadé du bâtiment d’origine ont été restaurés et peints en blanc pour une unité de ton.

Une insertion paysagère

Réalisées en ossature métal, les extensions offrent de grands espaces intérieurs. En l’absence d’éléments porteurs, les preneurs auront toute liberté d’aménagement pour leurs boutiques. La hauteur des bâtiments s’accommode et tire parti des différents dénivelés du terrain. Longeant les façades courbes, des rampes en pente douce règlent la question des accès PMR (personnes à mobilité réduite). « Les satellites peuvent atteindre 5 m de hauteur en un seul panneau de verre, détaille l’architecte. Avec un linteau et un shadow-box en bas. De loin, ça paraît petit, mais de près c’est majestueux. » Unique en ville par son gabarit, l’un des volumes a d’ailleurs tout récemment trouvé preneur pour accueillir… un mur d’escalade.

 

Artificialisation des sols et gestion des eaux pluviales : les toitures des extensions sont couvertes de 35 cm de terre végétale, avec un système d’arrosage par goutte à goutte.
Photo : Luc Boegly

Cependant, occuper une parcelle aussi vaste et bombée nécessitait de résoudre la question de l’artificialisation des sols et la gestion des eaux de pluie. « Sur un projet aussi long, c’était une bagarre sur le plan financier que de conserver le traitement de la 5e façade en toiture végétalisée, raconte l’architecte. Une forte épaisseur de terre végétale représente un surpoids structurel, et donc un surcoût non négligeable, d’autant plus qu’Annecy est située en zone sismique. » C’est pourtant là que s’exprime le mieux l’intervention de l’architecte : par sa volonté indéfectible, sur plus d’une décennie, de conserver une enveloppe architecturalement homogène, faisant l’objet d’un traitement soigné, sans aspérité ni disgracieux lot technique.

Benoît Joly

Photo : Manuelle Gautrand Architecture

Mur-rideau pour vitrines géantes

L’ensemble de ce projet tout en courbes développe 382 mètres linéaires de vitrage trempé type Low Iron en façade, soit plus de 1 700 m² de surface vitrée. L’équipe de conception a opté pour une trame économique et standardisée, validée par un prototype. La répétition de châssis fixes posés en décalé permet d’épouser les plans courbes. Suite à des calculs complexes d’ajustements réalisés par le bureau d’études T/E/S/S/ au milieu des années 2010, ces quelque 220 « écailles » n’ont pas toutes la même largeur d’une extension à l’autre et ce, pour des raisons de calepinage.

 

Elles présentent cependant un entraxe moyen de 1,78 mètre, ce qui autorise la fixation de kakémonos (affiche ou panneau publicitaire imprimé et exposé verticalement grâce à un système d’accroches murales, ndlr), à l’occasion d’opérations spéciales. Des réservations ont été prévues dans les montants à cet effet. Ainsi, la façade devient porteuse de signaux – avec de l’affichage et de l’éclairage – en adéquation avec sa vocation commerciale. La hauteur des châssis, impressionnante, varie de 3,80 à 6 mètres, suivant le dénivelé du terrain. Les finitions en aluminium, aux teintes neutres, sont privilégiées : Alucobond Plus Naturel Reflect 405 pour les profilés verticaux, les couvertines et les bavettes ; Alucobond Plus Natural Brushed 400 pour l’habillage extérieur des linteaux.

Coupe horizontale
Schéma : Manuelle Gautrand Architecture

« Contrairement au bâtiment d’origine qui était très introverti, je voulais que toutes les façades de ce projet soient vitrées et totalement transparentes. Si vous regardez le plan, le parti pris a été de transformer l’espace circulaire sous les pilotis du parking existant en mail piétonnier principal. Ce mail circulaire dessert ainsi tous les commerces par l’intérieur. La difficulté a été de faire accepter que les boutiques dans les satellites ne soient pas accessibles par l’extérieur… Sans pour autant les traiter architecturalement comme des fonds de commerces aveugles. La bataille fut longue car, dans le commerce, c’est le preneur qui fait la loi. En principe, un preneur aurait envie de magnifier sa vitrine côté mail, car c’est par là que les clients vont entrer. En revanche, côté ville, il aurait plutôt envie d’installer des cabines d’essayage, des espaces de stockage, contre des parois aveugles. Or, sur tout le pourtour du bâtiment, il n’y a aucune façade opaque, à l’exception d’une partie de l’entrée nord, très technique, dédiée à la logistique et aux véhicules utilitaires. Pendant les études, s’est posée la question d’appliquer des coatings sur les vitrages, de travailler des impressions, une sérigraphie, de manière à créer une sorte de filtre, sans totalement opacifier. Que ce soit pour des raisons environnementales ou pour des questions de flexibilité d’occupation d’espace, ces idées ne fonctionnaient pas. Nous avons souhaité conserver le même vitrage partout : performant, très clair à l’extérieur et très transparent. La typologie d’une façade arrondie ne nous autorisait pas à changer l’aspect du vitrage d’une écaille à l’autre. Cela aurait dénaturé le projet. »

Manuelle Gautrand

Architecte

Programme :

Restructuration et extension du grand magasin des Galeries Lafayette d’Annecy : création d’un mall et d’extensions pour divers commerces, restructuration du parking et aménagement paysager.

 

Cet article est extrait du magazine 5Façades 160 disponible sur Calameo