Sur le plateau de Saclay, le centre Teilhard-de-Chardin guide vers lui le monde de la recherche en quête de sens. Cette Silicon Valley à la française vouée à l’introspection et au dialogue crée l’évènement entre une zone résidentielle, des entreprises du CAC 40 et la crème des grandes écoles. Une sobriété monacale et chaleureuse accueille le visiteur dans un bain de lumière naturelle et une harmonie de bois blond, de chanvre et d’argile. Près de la future ligne 18 du métro du Grand Paris Express, étudiants et universitaires n’attendaient plus que ce havre de paix pour partager leurs savoirs et leurs doutes existentiels.

Photos : Didier Boy de la Tour

 Studium de douze « cellules » sur le toit-terrasse pour le séjour d’étudiants qui participent à la vie du centre. Extérieur des volets en bois brûlé.

Comme l’église au milieu du village, le centre Teilhard-de-Chardin se distingue du béton de la ZAC du quartier de Moulon, à Gif-sur-Yvette (30 000 étudiants et 12 000 résidents), par son enveloppe noire en bois brûlé aussi intrigante qu’inattendue. Un effet voulu par l’architecte, Jean-Marie Duthilleul : « C’est cette matière originale qui donne son identité au centre Teilhard et non pas la forme du bâtiment. » Passée la sensation visuelle, l’intérieur répond à la double vocation spirituelle et universitaire de ce lieu inédit. Un tout compact avec de grands espaces lumineux, un style épuré qui fait appel à des matériaux simples et naturels : poteaux et poutres en bois massif ou lamellé-collé d’épicéa, dalles des planchers en lamellé-croisé (CLT), plaques de fibre de bois pour l’acoustique et murs-rideaux en menuiserie aluminium d’une trame de 1 mètre pour servir une lumière du jour à volonté : « Un environnement assez rustique avec le bois omniprésent, des gaines d’aération qui ne se cachent pas, de la terre crue et du bois brûlé, tout ce qui peut servir la cause d’une architecture respectueuse de l’environnement. »

Noir c’est noir !

L’audacieuse façade qui se voit de loin est, vue de près, d’une grande subtilité : « Ce n’est pas n’importe quel noir… Pierre Soulages en aurait parlé mieux que moi… C’est un noir qui peut être parfois blanc ; au soleil, ses éclats rayonnent vers l’extérieur et c’est tout un symbole pour le centre Teilhard : un lieu qui capte la lumière pour la donner aux gens qui le fréquentent et, en même temps, la renvoyer vers la ville. » D’origine japonaise, le bois brûlé, appelé « Shou Sugi Ban », est étuvé et carbonisé pour être imputrescible, résistant au feu, aux intempéries et aux insectes. Un peu comme un tableau noir qui laisserait libre cours à l’imagination : « Pour nous, c’est un matériau très créatif, aucune planche ne se ressemblent, et, parfois, on croirait voir des écailles comme sur une peau d’éléphant », selon Guillaume Mommaels, architecte, qui a suivi le chantier d’un bout à l’autre pour l’agence Duthilleul.

Tout voir et être vu de partout

Cela saute aux yeux dès l’entrée, une grande halle dédiée aux échanges et à la communication, il suffit de lever la tête. Douze mètres de hauteur, un grand vide autour duquel escaliers en bois de chêne et passerelles aux garde-corps en fine maille de métal desservent des salles de cours, d’exposition et de coworking sur trois niveaux : « Une de nos obsessions à l’agence est de créer des espaces où les gens se rencontrent ; c’est à la cafète, dans les couloirs ou dans l’ascenseur que s’amorcent les meilleures trouvailles », dit Jean-Marie Duthilleul. À la parallèle de ce foyer vertical, un immense cône elliptique se lance à l’assaut du bâtiment. Il s’agit de la chapelle, tronquée au sommet par une verrière, et dont les parois en chaux et chanvre ocre rouge sont visibles à chaque étage : « Avec le bois brûlé, c’est une autre de nos innovations réalisées ici ; les parois de la chapelle sont en torchis de paille et de chaux recouvert d’un enduit de terre et d’eau », poursuit l’architecte. Autre surprise, sur le toit-terrasse, une maisonnée sur deux niveaux abrite des étudiants dans la tradition des collèges du Moyen Âge. Les colocataires participent à la vie du centre contre un loyer modéré pour chacune des douze petites « cellules » avec salle de bains réparties autour d’une salle à manger et d’une cuisine commune. À tous les étages, priorité aux matériaux biosourcés.

La lumière descend de la verrière vers les mezzanines qui épousent l’arrondi de la chapelle en forme d’ellipse.
 Baignée de lumière, l’entrée bistrot est prête à accueillir de grandes tablées d’étudiants et de chercheurs venus partager leur déjeuner qu’ils font réchauffer sur place.
 Ossature bois des six mezzanines situées à mi-hauteur de la chapelle. Des bancs de bois soulignent l’arrondi des coursives dans une lumière tamisée.
 Halle verticale où l’on peut tout voir et être vu. Harmonie de teintes de blond entre escaliers en chêne et garde-corps en métal fin.
Présentation théâtrale de la chapelle avec ses mezzanines en forme de loges et l’ombre d’une croix renvoyée par la verrière sur les parois de la chapelle enduites de terre crue.
 Coupe transversale.

Objectif bioclimatique

Pourvu de grands vitrages de protection solaire et de lames brise-soleil en Douglas, le bâtiment gère lui-même le chaud et le froid selon les saisons : « Sa compacité, 30 m sur 30, implique peu de façade au regard de la surface, tandis que de grandes ouvertures vitrées, sauf côté nord, bien fermé, permettent de se passer de “clim“ et presque de chauffage. » Lorsque le soleil est bas en hiver, il entre à flots et réchauffe l’intérieur par les grands murs-rideaux en menuiserie alu d’une trame d’un mètre.

À ce jeu de cache-cache avec les rayons du soleil, les brise-soleil ont un rôle majeur et précis. Au sud, leurs lames de bois sont horizontales pour masquer l’astre qui tape dur en plein midi. Et pour adoucir son déclin en fin d’après-midi, les pare-soleil sont verticaux : « En hiver, on a des calories gratuites ; en été, on arrive quasiment à filtrer 90 % des rayonnements. Le côté nord consacré à la circulation technique, crée un mur tampon qui évite aux calories de s’échapper », ajoute Guillaume Mommaels.

Les nuits d’été, place au « free-cooling », le refroidissement gratuit. Une CTA, centrale de tirage d’air, aspire l’air frais du côté nord et surventile le bâtiment via de grandes gaines munies de grilles. En hiver, si besoin, ce même système réchauffe l’air intérieur grâce aux calories de l’eau fournies par le chauffage urbain.

Doc. : agence Duthilleul

La chapelle, comme un cocon

Plus feutrée et minérale, changement d’atmosphère dans la chapelle dont la forme conique évoque l’entrée dans un cocon : « Il n’y a pas de résonance, les murs poreux et leur surface irrégulière ont un pouvoir d’absorption, les matériaux naturels créent un climat apaisant ; passer un moment ici, c’est presque un antidépresseur », raconte Guillaume Mommaels. Par la verrière, un effet lumière divine projette, de façon inattendue, l’ombre d’une croix sur les parois de cette chapelle en forme d’ellipse.

Tout tourne autour de l’espace liturgique situé au centre d’une lentille en résine béton. Une ronde de bancs en bois clair favorise le regard circulaire des fidèles tout comme rien n’échappe à leur vue plongeante depuis les six loges situées à mi-hauteur. Les célébrations sont destinées aux étudiants et chercheurs du centre ainsi qu’aux habitants du quartier. Capacité d’accueil : jusqu’à 120 personnes.

« La présence d’une église manquait sur le plateau de Saclay. Le centre à vocation pastorale qui porte le nom de ce scientifique et prêtre jésuite du siècle dernier propose aussi des conférences et des débats sur des sujets aussi divers que l’écologie ou l’intelligence artificielle », selon Alicia Batreau, responsable communication du Centre Teilhard-de-Chardin.

Josée Blanc Lapierre

N MÉLANGE CHAUX/CHANVRE QUI STOCKE 30 T DE CO2

90 m3 de chaux/chanvre, 23 m3 d’enduit en terre crue et une technique à l’ancienne pour réaliser le cône de la chapelle. Sur une ossature en épicéa lamellé-collé est agrafée une canisse de roseaux sur laquelle sont projetés, d’un côté, des résidus de chanvre, de fibres, et, de l’autre, de la chaux. Les deux matériaux se mélangent et forment une couche de 30 cm d’épaisseur. Un enduit en terre d’argile crue permet de lisser les parois à la main. Ces matériaux gèrent l’hygrométrie du lieu en pompant l’excès d’humidité et en la rejetant vers l’intérieur si besoin. Leur très bonne inertie en fait des régulateurs thermiques efficaces : en été, le chaux/chanvre stocke la chaleur et la rediffuse longtemps après quand la température aura baissé : « La grande qualité de cet isolant biosourcé est son déphasage de six à huit heures quand celui de la laine de verre n’est que de trois heures au bout desquelles la chaleur accumulée explose à nouveau », détaille Guillaume Mommaels.

Doc. : agence Duthilleul

GRAPHIQUE ET ASPECT MÉTALLIQUE

Provenant du Marugame, au Japon, et fourni par la société Zwarthout, aux Pays-Bas, le bardage en bois brûlé (32 m3 et 15 600 m2) est issu du pin Radiata, un conifère à croissance rapide. Des maîtres brûleurs qualifiés perpétuent la tradition japonaise du « Shou Sugi Ban » ou cyprès brûlé : posées en triangle pour former une cheminée, les planches sont enflammées de 3 à 7 minutes, selon l’effet souhaité, puis arrosées d’eau avant d’être séchées, brossées et, enfin, huilées. Débarrassées de leurs micro-organismes, les planches carbonisées sont inaltérables et écologiques : « C’est un matériau durable, chaque planche stocke du CO2 et contribue à sa réduction dans l’atmosphère », selon la société Zwarthout. Conçu pour une façade ou un toit, le produit convient également à l’intérieur. En principe, il ne nécessite pas d’entretien.

LA CAUSE FINALE DE L’ARCHITECTURE, C’EST LE BONHEUR DES GENS

 

 

« L’exigence est de construire en protégeant les richesses qu’offre la planète. Aujourd’hui, l’architecte doit élargir sa vision à tout un champ de disciplines, acoustique, captation des rayons du soleil, ventilation naturelle… Tout ça se calcule et se prévoit avec des techniques qui relèvent de l’ingénierie. On est enfin sorti du “geste de l’architecte“, cette horrible expression, pour être plus près des usages, de la respiration des bâtiments et de leur fonctionnement dans le temps. Au Teilhard, l’objectif était de mettre les gens en relation : l’entrée ouvre sur un bistrot et offre ensuite toute une circulation verticale qui permet à chacun de voir les autres, comme dans un grand foyer de théâtre ou d’opéra.

Une dialectique opère entre deux ambiances différentes : la partie tout en bois, lieu de rencontres et de conversations, et l’intimité de la chapelle où la terre crue des parois absorbe une partie des sons et crée une qualité de silence très différente de celle du foyer. L’ambiance sonore est une obsession dans notre agence, nos projets s’accompagnent souvent de scénarios phoniques. Pas facile d’anticiper dans ce domaine ! Habitués à concevoir de grands volumes, c’est essentiel pour nous de guider les gens à l’oreille. Dans des grandes halles comme les gares de Paris-Lyon ou encore de Montpellier, les brise-soleil assortis d’isolants phoniques créent une ambiance plus douce pour une foule qui a parfois de bonnes raisons de s’énerver ! »

Josée Blanc Lapierre

INTERVENANTS

ENTREPRISES

  • Fondations, gros œuvre : Estèves Frères
  • Structure bois et métal, couverture, étanchéité, façades : UTB
  • Terre : Arnaud Philippe-Construire naturellement
  • Métallerie, serrurerie : Schaffner
  • Menuiseries extérieures : Pommerol

EN CHIFFRES

  • Surface de plancher : 1 700 m2
  • 230 t de CO2 stockées dans le bois qui a servi à la construction
  • Montant HT travaux : 5,2 M€

Cet article est extrait du magazine 5Façades 165 disponible sur Calameo.