Sculpté dans le bois et léger comme la plume, le centre aquatique de Saint-Denis (93) repousse les limites de la technique et de l’architecture, avec sa toiture tendue comme une voile au-dessus de façades brise-soleil qui laissent entrevoir bassins, plongeoir et tribunes. Relié par une passerelle au nouveau quartier de la plaine Saulnier, son design contemporain et dynamique le distingue de son voisin, le monumental Stade de France.

Photo : Salem Mostefaoui

Il sera l’une des constructions emblématiques des JO 2024. Le centre aquatique de Saint-Denis en Seine-Saint-Denis (93), taillé pour les athlètes de haut niveau, passera le relais, en phase héritage, à un complexe sportif ouvert à tous. Pour l’architecte de l’Atelier 2/3/4, Laure Mériaud, l’idée était, dès la première esquisse, un toit tout en finesse et légèreté : « L’objectif était d’utiliser le moins de matière possible et d’avoir une forme qui permette de réduire le volume du hall bassin, un centre aquatique étant très énergivore ».

Après modélisations, le toit souple et fluide est validé. « En forme de sourire », il dissimule avec élégance les contraintes d’une structure complexe : une toiture qui ondule sur 90 m. Au milieu du bâtiment se trouve le plongeoir de 10 m, auquel il faut ajouter une contrainte de 5 m sans obstacle, ce qui crée une sorte de renflement sur le toit. Ensuite, la toiture descend légèrement vers les façades – pour l’évacuation des eaux de pluie –, puis s’élance vers les extrémités où se trouvent les gradins, les points les plus hauts à 20 m environ. Résultat, une pente qui atteint 38 %. Unique au monde : « Il en existe une au Canada, mais cela n’avait jamais été fait sur 90 m de portée. »

Du jamais vu non plus, l’utilisation du bois à la fois pour la charpente, la toiture et l’ossature. Au total, 2 700 m3 de lamellé-collé en Douglas. L’équivalent de 650 000 boîtes de 200 Kapla : « Les visiteurs nous disent : “Oui d’accord, mais du bois qui habille du métal !” Non ! Seuls les assemblages sont en métal. » L’occasion de rappeler les qualités écologiques du matériau : « Avec 1 m3 de bois, on économise 2 t de CO2 par rapport à un bâtiment classique. Ici, ce sont donc 5 400 t de CO2 en moins dans l’atmosphère ! » Le bâtiment affiche aussi « 90 % d’énergies renouvelables et de récupération ».

Soit 5 000 m2 de panneaux photovoltaïques (un quart des besoins en électricité) et un branchement sur un réseau de chaleur renouvelable et de récupération de la chaleur de data centers. On retrouve cette volonté de sobriété jusque sur les gradins avec 3 000 sièges réalisés à partir de bouchons en plastique et bouteilles de shampoing recyclés, une initiative de la start-up SAS Minimum : « Il y a 10 kg par siège, ce qui fait un total de 30 t de déchets en moins dans nos poubelles, c’est énorme ! » se félicite l’architecte. Mais la plus belle réussite du centre aquatique en matière bioclimatique, c’est sans conteste le choix du bois.
En particulier, pour sa charpente exceptionnelle.

Photo : Salem Mostefaoui
Les 91 poutres catènes sont assemblées une à une, 10 par jour, soit au total 273 éléments de 55 cm x 20 cm x 30 m. Façades nord-sud, les tympans sont à ossature bois de France (épicéa des Vosges et Jura).
Photo : BECI BTP

Charpente, des sueurs froides et de la précision

Jean-Yves Baudry, ingénieur chef de projet chez Mathis, a le sens de l’image pour décrire la charpente dont il a encadré le montage : « Imaginez une structure tendue comme un hamac. Les fils du hamac, ce sont les poutres de 90 m et de 55 cm d’épaisseur – ce qui est très fin –, posées tous les 1,05 m. » Intransportables, ces poutres, appelées catènes, ont été découpées en trois parties de 30 m.

Au moment de la pose, premières sueurs froides :
« Je ne vous cache pas qu’au début, on a tâtonné ! Puis on a trouvé le bon mode opératoire. On levait deux catènes ensemble, on les mettait face à face jusqu’à ce qu’elles soient bien alignées, qu’elles s’emboîtent et finissent par tenir d’elles-mêmes, sans étayage au-dessous. C’était à un 10e de millimètre près ! »

L’isolant de verre cellulaire (Foamglas) est collé sur l’élément porteur. Très rigide (classe D) et en panneaux de 60 x 45 cm avec une épaisseur de 20 cm, il offre une résistance thermique de 5,5 m2/K/W.
Photo : BECI BTP
Rails de fixation des panneaux photovoltaïques (Dome Solar), thermosoudés sur la membrane d’étanchéité synthétique (Evalon) pour éviter tout pont thermique avec la toiture.
Photo : BECI BTP
Sur une pente de 38 %, le renfort de fixation des rails Dome Solar permet d’écarter tout risque de fluage sous l’effet de la charge des panneaux photovoltaïques.
Photo : BECI BTP

Autre souci, pas d’effet de série : « À cause de la forme du toit, chaque poutre avait une place bien définie. Il ne fallait pas les mélanger et être très précis. D’une travée à l’autre, les variations pouvaient être de plusieurs millimètres ; il fallait être sûrs car une fois fixées, elles étaient indémontables. »

Résultat : deux ans de calculs préalables effectués par trois bureaux d’études (SBP, Bouygues et Mathis), sept mois d’un travail d’orfèvre à 20 m de hauteur, 30 charpentiers. À chaque extrémité du bâtiment, les catènes sont posées sur une vingtaine de grosses poutres de 10,50 m x 60 cm en lamellé collé, fixées de façon oblique et équipées de ferrures très complexes (des vis de 1 à 1,50 m), pour retenir les 70 t de traction de chaque catène. Et bien sûr, un tirant métallique pour que l’ensemble ne se replie pas vers les bassins.

Le grand bassin, doté de deux quais mobiles, est modulable en bassins de dimensions variables pour les JO 2024 – plongeon, water-polo, natation synchronisée et boccia (entre pétanque et curling) pour les Jeux Paralympiques.
Photo : Salem Mostefaoui
Bandes de lumière naturelle au-dessus des bassins et, depuis les plongeoirs, vue sur le Stade de France à travers le tympan vitré côté est.
Photo : Salem Mostefaoui
Ligne épurée du franchissement piétons de 106 x 20m, au-dessus de l’autoroute A1 reliant le quartier Plaine-Saulnier au Stade de France.
Photo : Salem Mostefaoui

Pour garder l’effet bois à l’intérieur, les équipements techniques, galeries et gaines de ventilation, ont été rapatriés sur le toit. Pas de problème pour le chef de projet, qui repend l’image du hamac : « Au contraire, il faut du poids au-dessus pour que le hamac soit stable et qu’il n’y ait pas d’effet de soulèvement par l’action du vent ». Du poids, mais tout en gardant la légèreté d’une « toiture-hamac ». Pas simple.

Les tribunes sont modulables de 2 500 à 5 000 places, et les sièges réalisés en bouchons de plastique recyclé.
Photo : Salem Mostefaoui
Étaiement des brise-soleil sur les façades nord et sud, contrevenants horizontaux et butons métalliques.
Photo : Salem Mostefaoui

Le pari fou d’une couverture fluide et légère

Atteindre cet objectif a impliqué beaucoup de recherches et d’innovations qui ont donné lieu à une évaluation ATEx de la part du CSTB. Au final, l’ensemble du complexe, de l’étanchéité et des panneaux photovoltaïques, ne dépasse pas 40 cm de hauteur : « Quand on montait sur le toit pour faire les travaux, on sentait bien un mouvement sensible des catènes », raconte Gilles Guyoton, patron de BECI BTP. Au point de créer un conflit entre la charpente et la rigidité des façades vitrées, côté est-ouest, confirme Jean-Yves Baudry : « Nous avons élaboré un système de gouttières déformables pour que la toiture n’appuie pas sur le vitrage au risque de le casser. Il faut savoir que la couverture bouge et que ses écarts peuvent atteindre jusqu’à 30 cm. »

Autre casse-tête quand on a affaire à une toiture dont la pente bat des records jusqu’à 38 % !  et qu’elle doit supporter le poids de 2 200 panneaux photovoltaïques. Alors, pour écarter le risque de fluage, ou de déformation, de l’étanchéité sous cette surcharge, des plaquettes de fixation crantées, de 15 x 15 cm, ont spécialement été mises au point. Scellées sur la partie supérieure de l’isolant en verre cellulaire, ces plaques de sécurité évitent tout problème de corrosion. Tout comme pour l’ensemble du toit, tout est collé ou soudé, aucune fixation n’est traversante.

Contrainte supplémentaire, l’acoustique, très préoccupante dans un hall sportif. D’où une première précaution, à savoir un voligeage (planches de bois de 4 cm) fixé au-dessus de la charpente, tous les 1 m, et perpendiculaire aux poutres catènes. Ce système ajouré pour piéger le son est aussi très esthétique : « C’est bluffant ! Vu de l’intérieur, le plafond fait l’effet d’une immense poutre concave sur 90 m », décrit Jean-Yves Baudry. Au-dessus, entre des tasseaux vient s’ajouter en complément, un élément absorbant et acoustique (feutre et laine minérale). Puis arrive le bac en acier porteur, composé de tôles nervurées (voir croquis). Reste à installer l’isolant thermique.

Isolant, du verre cellulaire bien sûr !

« Une piscine, c’est une cocotte-minute ! Une énorme quantité d’eau chauffée et beaucoup de pression de vapeur d’eau. Il faut des matériaux de qualité, des fixations en inox, une étanchéité qui tienne la route. Le bois est aussi excellent, comme absorbant de l’excès hygrométrique », explique Gilles Guyoton de l’entreprise BECI BTP.

Pour éviter les points de rosée et les condensations dans la toiture, il fallait un isolant thermique costaud et étanche à la vapeur d’eau. Le verre cellulaire, utilisé dans 80 % des piscines en France, semblait incontournable. Ce verre moussé à haute température, composé de bulles de verre toutes étanches les unes par rapport aux autres, ne s’altère pas dans le temps et résiste au tassement. D’où son intérêt pour remédier aux contraintes de poids des panneaux photovoltaïques, ces derniers nécessitant aussi des accès piétons pour leur entretien.

Gilles Mugnier, de Foamglas, est fier de son produit, le seul à avoir obtenu une validation technique du CSTB : « Nous sommes les seuls en Europe à proposer une garantie thermique de vingt-cinq ans avec de gros avantages : pas de déperdition énergétique et en plus il est “géosourcé” ; avec 60 % de verre recyclé, il est réutilisable sous forme concassée et amené à ne jamais être mis à la benne. Pas besoin d’être rénové. Il fait corps avec l’élément porteur et, bien posé, il dure la vie du bâtiment. » Plus cher à l’achat, il est néanmoins reconnu comme économique dans le temps.

Josée Blanc Lapierre

Des murs-rideaux vitrés pour le hall bassin

Les façades est-ouest sont constituées de murs-rideaux vitrés de 75 m de long par 16 m de haut – pour leurs plus grandes dimensions. Ils permettent la fermeture de l’espace hall bassin, tout en faisant fonction d’ossature aux brise-soleil déportés de la façade : « C’est un peu comme un front de scène, cela amène énormément de lumière naturelle, donc l’éclairage artificiel n’est pratiquement pas nécessaire », précise Laure Mériaud.

La façade vitrée est constituée d’une grille métallique montants-traverses supportant les panneaux verriers. La trame des montants est de 2,75 m. Tous les deux montants est prévu un système de poutre-treillis verticale, dont le plan est perpendiculaire à celui de la façade. Les membrures de ladite poutre-treillis sont constituées par les montants de la façade vitrée et par les suspentes supportant les brise-soleil. Les treillis sont complétés par des butons et des diagonales.

Ces façades sont posées en pied et, au niveau de la partie supérieure, au droit de la poutre chéneau. Seuls les déplacements est-ouest sont bloqués et transmis à la toiture, via un appui glissant. Celui-ci permet d’absorber les déplacements verticaux importants de la toiture. Les façades nord-sud sont des tympans à ossature bois, posés en biais et remplis d’isolant. Ils sont recouverts d’un bardage, côté extérieur, et également couronnés d’une structure brise-soleil.

Doc. : Ateliers 2/3/4/ et VenhoevenCS

Couverture sous Atex

La difficulté, sans précédent jusqu’à présent, a été de concevoir la fixation des modules photovoltaïques non étanches sur une toiture solaire caractérisée par de fortes inclinaisons. Cette toiture a été développée en suivant un processus rigoureux comprenant une Appréciation technique d’expérimentation (ATEX) du CSTB, déposé par Bouygues Bâtiment Ile-de-France et de nombreux essais en laboratoire. L’ensemble de la conception a nécessité la contribution d’experts issus de diverses disciplines telles que la structure, l’étanchéité, les fluides, la thermique, l’aéraulique, l’acoustique… Concrètement, sur les catènes, des voliges en bois sur lesquels sont fixés des tasseaux, entre ceux-ci, un complexe acoustique, puis la toiture avec son élément porteur. Ensuite l’isolant en verre cellulaire, l’étanchéité et les supports de panneaux photovoltaïques dotés d’un dispositif spécifique de fixation.

Doc. : Ateliers 2/3/4/ et VenhoevenCS
Doc. : BECI BTP

« Un toit qui rassemble »

 

« Un toit qui rassemble »
« C’est ce qu’on voulait : un bâtiment pas trop institutionnel mais transparent, lumineux et ouvert, qui donne envie de pénétrer à l’intérieur ; lui donner un côté amène et dynamique à l’image de la Seine-Saint-Denis. Parmi les contraintes, de centre de compétitions, il doit devenir un lieu de vie ouvert à tous. C’est aussi le premier acte d’une grande opération d’aménagement – logements, bureaux, écoles – sur la ZAC Saulnier. D’un point de vue architectural, il est la somme de beaucoup de recherche et de réflexion en amont. Il fallait pour nous que la structure fasse l’architecture, qu’il n’y ait pas d’éléments apportés qui viennent la cacher. D’autre part,  » les Jeux les plus verts  » ont été pour nous un enjeu très fort et nous avons réussi à aller jusqu’au bout des thèmes qui nous tenaient à cœur : le biosourcé, la compacité, la lumière, la réversibilité. Il nous fallait réaliser un bâtiment qui réponde à toutes les demandes, à tous les usages sans pour autant être dispendieux. Aujourd’hui, il affiche 90 % d’énergies renouvelables et de récupération. Cela représente beaucoup de nuits blanches, des prises de risque pour une toiture aussi fine et légère. Ce programme valide de nouveaux savoir-faire comme l’utilisation du bois pour des structures exceptionnelles. Cela nous a fait grandir. »

Laure Mériaud / Cécilia Cross

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Cet article est extrait du magazine 5Façades 164 disponible sur Calameo.