Compact, lisible et intelligible rapidement, tels étaient les critères qui ont prévalu dans l’édification du nouveau campus et centre de formation EDF à Saclay. Un pari réussi et une innovation de taille : la projection d’un béton fibré à ultra-hautes performances pour la réalisation des façades préfabriquées.

Les façades du nouveau campus et centre de formation EDF ont été réalisées avec du béton fibré à ultra-hautes performances, pour les niveaux de formation et d’hébergement. Photo : Jeremy Bernier

Plateau de Saclay, Palaiseau, à 20 km de la capitale. Un entre-deux de vallées qui oscille entre ruralité et urbanité. Plus qu’une esquisse, le cluster scientifique et technologique Paris-Saclay, dans le quartier de l’École polytechnique, recompose déjà le paysage jadis de terres arables. Au cœur de ce site, le nouveau centre de formation et campus EDF s’impose dans toute sa verticalité. « Consommer de façon importante ces terres agricoles pour faire du bâtiment, ce n’est plus dans l’esprit du temps », expliquent les architectes Emmanuel Combarel et Dominique Marrec, ecdm*. Traduction : pas de programme éclaté et gourmand en surfaces avec des « objets isolés et déconnectés les uns des autres », mais un volume qui se distingue par sa compacité, sa modularité et sa transparence. Le bâtiment, un parallélépipède, est organisé autour d’un patio central très compact. Au rez-de-chaussée, un vaste hall dallé de marbre blanc et baigné de lumière, un espace bar d’une capacité de 1 200 personnes. 

L’accueil travaillé comme un kaleidoscope

 

Autour du patio verdoyant qui établit un lien visuel entre les différentes programmations se déploient deux vastes salles de formation, modulables en deux ou quatre, selon les besoins, tandis que les espaces de travail en double hauteur se perçoivent depuis le couloir haut. Détachée de ce volume et largement ouverte sur l’extérieur, une salle d’exposition de 450 m2 au droit du parvis d’entrée et, accrochée à l’arrière, la halle de formation technique de 3 000 m2 courant sur 200 m sur deux niveaux, le premier en double hauteur, de béton et de parpaings apparents aux joints tirés au fer. « Dans cet espace, on a organisé juste le rapport à l’extérieur, en perçant de larges vitrines sur les champs, les jardins », précise Emmanuel Combarel. 

On retrouve également cette volonté de transparence et de limpidité dans le traitement des façades. En pied de bâtiment, le parvis d’accueil, revêtu d’une peau d’inox et de verre, offre d’étonnants jeux de miroir selon la lumière, le paysage et les mouvements. « On a travaillé l’accueil comme un kaléidoscope. Ces reflets renvoient à tous les paysages », souligne Dominique Marrec. Un jeu cinétique derrière lequel se dissimule le poste de sécurité : « Voir sans être vu… ». L’inox et le verre enrobent également la halle technique et la salle d’exposition.

Une programmation lisible

En façade, les strates bien distinctes – béton + inox en rez-de-chaussée, béton jusqu’en R + 2, verre en R + 3, et béton en R + 4 et R + 5 – traduisent clairement la programmation. Concrètement, la première strate correspond à l’espace public, soit 70 salles de formation plus deux modulables, hall d’accueil, salle d’exposition, salle plénière.
La deuxième abrite les lieux de sociabilité, avec cuisine, restaurant de 300 places, salles de fitness et de détente, médiathèque. La dernière est dédiée à l’hébergement (270 chambres réparties sur deux étages).
« Les modules sont très différents puisque l’on a de la formation, du loisir et du résidentiel. On passe de l’espace public à la sphère privée placée tout en haut. L’idée était de rendre compatibles ces différentes utilisations de l’espace. Tout est structuré sur une même grille de façon à avoir un bâtiment extrêmement limpide… Un campus 

Doc : ecdm

Points forts :

Compacité / Béton fibré projeté / Stratification des programmes

lisible et intelligible rapidement par ses utilisateurs », expliquent les architectes. L’autre intérêt de la stratification réside dans l’organisation des échanges énergétiques à l’intérieur, entre les moments et endroits déficitaires et excédentaires. « On a en effet beaucoup travaillé sur les économies d’énergie. Par exemple, la cuisine produit de la chaleur qui est récupérée pour chauffer l’eau des logements. »

Photos : Sohpie Bouillard

Derrière le bandeau verrier, se devinent les luminaires en forme de nuages, qui, la nuit, permettent d’entretenir la césure entre strates publiques et privées. On retrouve ces mêmes luminaires en rez-de-chaussée. Photo : Sophie Bouillard
La façade de la halle de formation technique est, à l’instar du parvis d’accueil, enrobée d’inox et de verre. Photo : Sophie Bouillard
Dans le patio, des  » cairns  » en béton rouge, réinterprétation stylisée de la cheminée EDF. Photo : Jeremy Bernier
Tout d’inox et de verre, le parvis d’accès a été travaillé comme un kaleidoscope réflétant paysage et mouvements. La façade énonce clairement les différentes strates du programme : en parties basses, un habillage en béton Ductal projeté : en haut, des éléments béton monoblocs sur deux étages. Entre les deux, un origami de vitrages réfléchissants, thermiquement perfomants. Photo : Jeremy Bernier
Ou encore dans les quatres circulations du bâtiment où il se décline en un atypique matelassé façon  » doublure Chanel  » orange vif. Photo : Sophie Bouillard
Dans les chambres, toutes proposées avec un papier peint différent, les fenêtres sont autant de cadres sur les champs à perte de vue. Photo : Sophie Bouillard
Omniprésent, le béton est parfois laissé brut, comme dans le bar lounge où il joue le contraste avec la blancheur du marbre au sol. Photo : Jeremy Bernier
La strate réfléchissante marque la transition entre le public et le privé. Photo : Sophie Bouillard

BFUP projeté : le nec plus ultra

Le béton fibré à ultra-hautes performances (BFUP) est un matériau connu et apprécié pour ses nombreuses propriétés : ductilité, durabilité, résistance, faible porosité, précision, esthétique… La dimension innovante sur ce programme réside dans sa mise en œuvre :
le BFUP Ductal développé par LafargeHolcim, jusque-là coulé, est, ici, projeté. Le procédé de préfabrication mis en place permet de projeter au pistolet le béton dans des moules en bois ou en élastomère, ce qui lui confère un aspect et un toucher lisses. La ductilité du béton s’en trouve augmentée, d’où la possibilité de réaliser des éléments monoblocs de très grandes dimensions – jusqu’à 7 m de hauteur et 2,70 m de largeur pour 60 cm de profondeur – avec des épaisseurs de matériau minimales, soit 15 mm en parties courantes. Des jonctions en forme de X autorisent le bon assemblage des panneaux. 

Sur les niveaux formation, quatre fenêtres (2 x 2) constituent un habillage d’un seul tenant. Entre chaque panneau, les cotes de l’entretoise sont reproduites à l’identique pour avoir une trame d’une précision absolue. De même pour les chambres, les éléments sont monoblocs sur deux étages (épaisseur de 3 cm)  ! L’ensemble des pièces a été réalisé dans quatre moules différents. 

Cette peau de béton se détache des contraintes structurelles. Les anfractuosités au droit des menuiseries, des coulisses ou des coffres de stores sont absorbées et réduites au minimum par la grande souplesse et la résistance du matériau. 

« Avec le béton projeté, vous faites un moule avec des anfractuosités ; on vient sculpter le panneau, conformément aux besoins. C’est une coque – avec, par exemple, le volet roulant en plastique dessiné – dans laquelle le béton est projeté et l’on obtient une forme négative. Et pas de pont thermique ! », conclut l’architecte, Dominique Marrec.


BFUP projeté pour une finition absolue

En termes d’identité visuelle, c’est cette superposition ou plutôt ce triptyque de matières et d’ouvertures qui va imprimer sa signature au bâtiment, lui dessiner un « motif ». Soit, sur les premiers niveaux, une fine peau de béton fibré à ultra-hautes performances, rythmée par des fenêtres hautes et étroites. Teinté dans la masse, ce béton brun foncé est ensuite lasuré avec une transparence de 50 %. « Ce qui donne une réalité un peu augmentée ; on conserve la translucidité du béton teinté et on la booste avec une lasure à faible taux de pigmentation. Une façon de préserver la matière. » Sur les deux derniers niveaux, les éléments sont monoblocs sur deux étages ; ils ont été préfabriqués dans ce même béton fibré, puis montés à la grue. En R + 2, signifiant le passage du public au privé, une bande translucide pliée façon origami et composée de vitrages légèrement réfléchissants, ouvre, généreuse, à 360° sur l’extérieur. Outre la performance thermique du verre mis en œuvre, les effets miroir avec le ciel et le paysage environnant participent à la mise en scène de cette strate « vide » qui joue l’intermédiaire entre les deux autres.

Particularité de ces peaux ? Le béton Ductal de LafargeHolcim est, ici, projeté et non coulé comme traditionnellement (voir encadré). « Ce n’est pas la première fois que nous travaillons avec ce matériau… Nous avons toujours été fascinés par sa ductilité qui le rend d’une précision absolue. Structurel, extrêmement ferme et étanche, d’une finition absolue, « il combine, en fait, tout ce qui fait rêver un architecte : la capacité d’inscrire un processus de réflexion hyper-rigoureux dans une économie de moyens, de matière, sans artifice… Et de travailler sur de grands modules », souligne Dominique Marrec. Le procédé de projection vient encore renforcer ces propriétés, à savoir une capacité structurelle porteuse cinq fois plus importante que celle d’un béton classique.

Travailler avec de la masse

« Nous voulions une très grande rigueur d’écriture et trouver une résille de béton pour habiller ce quartier de ville qui fonctionne 24h/24. Nous avons donc défini un principe de trames pour obtenir cette dentelle incroyable, tout en ayant un bâtiment un peu institutionnel dans son approche du territoire », indique Dominique Marrec. Et d’ajouter :
« Ce que nous n’aimons pas, Emmanuel et moi, ce sont ces joints, toute cette quincaillerie que produisent les façades en peau que l’on voit actuellement. » Ici, les éléments de 8 m de hauteur sont d’un seul tenant sur une trame de 2,70 m. Les panneaux préfabriqués intègrent isolation et étanchéité, seuls les joints sont à faire. « Ce projet a été l’occasion de faire passer les tolérances du béton en-dessous du centimètre ; là, les joints font 9 mm. C’est d’une incroyable précision », se réjouit Dominique Marrec. 

Autre « détail » atypique, la structure béton du programme est en poutres noyées, c’est-à-dire qu’elle est coulée en place sans aucune poutre, et reprise dans l’épaisseur des planchers. Aucun élément structurel ne vient ainsi impacter les plénums techniques, qui peuvent donc évoluer selon les besoins. « On a également une limpidité structurelle », souligne Emmanuel Combarel. Il faut réapprendre à travailler avec des matériaux, avec de la masse. L’intérêt de celui-ci est qu’il est rigide et résistant, il ne se déforme pas si vous tapez dessus. Il y a une vraie matière. »

Sophie Bouillard


Architectes : ecdm

Maître d’ouvrage délégué : Sofilo ; assistant conception : Orénoque ; assistant travaux : AIA Associès

BET structure  : Jean-Pierre Miècaze

BET façade : VP&Green Ingénierie

Elements BFUP de façade : Ductal, LafargeHolcim / Betsinor / C&E ingénierie

Certification : HQE Excellent et Breeam Excellent


 

Emmanuel Combarel et Dominique Marrec, agence ecdm

Photo : ecdm

« Les campus étaient jusqu’à présent surtout des parcs urbains. Ils étaient conçus sur l’idée d’un paysage où les objets se déconnectaient entre eux. La raréfaction du terrain nous a amenés à réfléchir différemment, la problématique de la densité des bâtiments a été une vraie question. Consommer de façon importante ces terres agricoles, c’était dommage. Ainsi, sur ce programme, le terrain dédié au campus est constitué de deux parcelles, mais nous n’en avons investi qu’une. 

Au départ, il s’agissait de quatre bâtiments séparés –  accueil, formation, loisir et hébergement. Ce qui consommait beaucoup d’espace. Quel est le sens de passer d’un bâtiment à l’autre ? D’où l’idée de la stratification de ces différents espaces, nous voulions voir si, superposés, ils pouvaient être compatibles. Mais il fallait une quantité spatiale équivalente pour l’ensemble. Au final, les quatre strates ont à peu près la même surface. Certains programmes ont été hypertrophiés, d’autres compressés pour qu’ils soient superposables… Et ce en intégrant une contrainte de taille : le projet est sur le couloir d’Orly, donc limité en hauteur.

Il y avait aussi une problématique de gestion du temps. Avant, les formations étaient plus longues ; aujourd’hui, elles durent entre une journée et une semaine. L’idée était donc de concevoir un bâtiment très compact, qui puisse être compris immédiatement. La question du temps a été centrale dans la conception. C’est un quartier de ville, un lieu qui fonctionne 24 heures sur 24.
C’était la première fois que nous étions amenés à travailler sur cette idée de quartier de ville. La problématique, ici, était que toutes ces entités communiquent entre elles. Nous avons donc créé un morceau de ville et non des objets isolés comme les pavillons de banlieue… Avec une question centrale : comment se protéger – car il y a des secrets de fabrication propres à chacun – et comment partager aussi – car le projet est d’attirer les meilleurs cerveaux. Il s’agit de créer un pôle d’excellence.
La volonté politique, ici, était de créer un cluster. »

Cet article est extrait du magazine N° 124 de 5façade, > Découvrir le magazine <