Les beaux jours reviennent. Ils ne sont plus seulement une promesse de bien-être, mais s’accompagnent des souvenirs de canicules et de surchauffe des bâtiments.
Par Nicolas Delplanque, architecte associé – direction technique VS-A

Exemple de la tour CCK Luxembourg, OP-EN Architecte, 2011.

Alors que la question énergétique et réglementaire sous nos régions a été essentiellement tournée dans le but d’avoir chaud (nous ne connaissons pas, pour exemple, de critère de température maximale dans le Code du travail), les nouveaux projets de construction et de réhabilitation précèdent cet aspect de l’encadrement réglementaire pour les fortes températures, et ajoutent systématiquement cette question : « Comment être au frais ? » Avoir chaud à 20 °C permet le repos du corps et favorise l’activité cérébrale alors que l’activité physique réclame des espaces frais et s’accommode aisément des basses températures. Aucun coureur de fond ne se plaint d’un froid sec, même extrême ! L’augmentation et l’intensité des périodes de canicules de ces dernières années nous ont fait prendre conscience de la dangerosité des fortes chaleurs pour notre santé et de notre faible capacité d’adaptation à ces variations de température élevées.



Caisse d’épargne de Bordeaux, Architecture Studio, 2016.
Ainsi, nous nommons désormais la chaleur d’hiver « confort thermique », et la fraîcheur d’été est progressivement qualifiée de « vitale », au même titre que la recherche de chaleur d’hiver autrefois. La gestion de l’énergie à l’échelle d’un pays est également marquée par ce changement. La réglementation thermique s’est imposée avec la limite de la ressource d’énergie disponible. En plus de cette quantité d’énergie disponible comme valeur absolue, apparaît désormais une nouvelle problématique qui est celle de la maintenance des installations. Les centrales nucléaires ne connaissent plus de répit en été, climatiseurs obligent.
La préservation du climat passe par la préservation des installations qui pourraient bien céder avant. Il est presque rassurant que les considérations altruistes à moyen et long terme s’accordent avec le pragmatisme à court terme. L’urbanisme que l’histoire récente a conduit à une minéralisation et à un espacement accru des avenues, puis des espaces dédiés à la voiture n’aide pas et sollicite les façades.
L’enveloppe du bâtiment pose les questions suivantes : Comment un bâtiment isolé des autres peut-il se protéger de l’échauffement ? Comment peut-il limiter les apports solaires d’été sans pénaliser ceux toujours nécessaires en hiver ? Comment le préserver du vieillissement lié au rayonnement solaire et aux chocs thermiques d’été ? Quelles sont les pistes d’intégration des protections solaires à la conception architecturale ?
Des exemples de projets passés ouvrent des pistes, mais, pour résoudre la question de la façon la plus pertinente, nous aurons besoin de la facilité de calcul et d’intégration et de la flexibilité des outils numériques pour poser correctement la question et avancer vers des designs adaptés. Nous, c’est-à-dire les concepteurs, avons franchi un point de bascule dans l’orientation de la conception des façades. Le lisse et l’égalité des façades toutes orientations ne font plus école. Les façades se creusent à nouveau et se différencient.



Tour CFC à Casablanca (Maroc), Morphosis Architects, 2019.
Une diversité de solutions
Les solutions de façades double peau équipées de brise-soleil orientables (BSO) dans la double peau, très esthétiques et performantes en termes d’isolation et de protection à la pluie, perdent de leur pertinence sous stress climatique intense. Il est possible que nous n’abordions plus la réhabilitation de la tour Alcide de Gasperi du Luxembourg de la même façon de nos jours.
Une première alternative à ce type d’ouvrage a été développée pour la Caisse d’épargne de Bordeaux depuis une composition de vitrage spécifique d’un store réfléchissant intérieur coordonné à la GTB. Ces dispositions permettent de retrouver la configuration d’une façade simple peau plus économique avec un facteur solaire de vitrage variable de 30 % et 13 % en fonction du climat extérieur. Les retours d’expérience de ce système calculé et testé au préalable en soleil artificiel sur ce bâtiment sont bons.

Siège de l’IGN et de Météo France à Saint-Mandé, Laura Carducci Architecte, 2011.


Ce système présente toutefois des limites lorsque l’attendu de facteur solaire de la façade doit être inférieur à 10 %. La tour CFC de Morphosis à Casablanca introduit une alternative franche à la façade lisse des tours des quartiers d’affaires. L’IGH 100 % vitré est constitué dans sa partie médiane de brise-soleil de profondeurs variables (30, 60 et 90 cm) en appui sur un débord de dalle formant le C+D ainsi qu’une coursive périphérique.
Ce dispositif de protection solaire gradué en fonction de l’orientation est efficace et a permis de préserver l’utilisation de vitrages transparents favorisant la vue et le confort de lumière naturelle des plateaux. Premier ouvrage du quartier d’affaires, le principe de protection solaire extérieur a su inspirer d’autres bâtiments qui sont arrivés après lui. La conception architecturale a fait l’objet d’une modélisation numérique précise adaptée à la forme exacte des brise-soleil de façon à corroborer les résultats de calcul des méthodes simplifiées de la RT.


Immeuble de bureaux Le Conex à Lille, Chartier Corbasson Architectes, 2017.
Sur des ouvrages moins iconiques, les ébrasements extérieurs peuvent aussi constituer une piste de protection solaire efficace. En combinaison avec un store intérieur, ce dispositif forme des solutions pertinentes à réexplorer au titre de protection solaire. Pour le projet du siège de l’IGN et de Météo France avec Laura Carducci, c’est la cinématique des volets déportés qui forme l’ébrasement de protection solaire en position repliée. Ainsi, cette façade sud bénéficie d’une protection résiduelle même lorsque la protection solaire n’est pas complètement développée.
Souvent, les programmes maintiennent le BSO au titre de prestation obligatoire, même si les calculs poussés auraient pu aider à en faire l’économie. Les BSO motorisés permettent de disposer de la plus grande plage possible de performance solaire. Leur maintenance doit être intégrée à la gestion ultérieure de l’ouvrage. Sur certaines de nos opérations, 1 % des BSO sont remplacés par mois… ou 10 % par an. C’est un budget.

Lycée Georges-Brassens à Évry-Courcouronnes, Oyapock Architectes, 2023.
Les brise-soleil sont un sujet de prédilection pour le détail
À l’échelle du détail, la géométrie des lames a aussi son importance. Sur la rénovation du Palais des congrès de Nancy, la forme incurvée des brise-soleil issus du dessin de Jean Prouvé réfléchit le rayonnement solaire vers l’extérieur de la façade et des vitrages. Pour l’immeuble Le Conex, quelques astuces de design ont permis d’intégrer et d’embarquer les brise-soleil à l’ouverture des ouvrants pompiers. Ces derniers se devinent à peine dans les joints des déflecteurs de lumière qui forment l’anamorphisme de ce bâtiment entre un pignon traditionnel et la gare Lille Flandres.

Palais des congrès de Nancy, Marc Barani, 2014.
Orienter les études vers des solutions optimales
L’objectif des brise-soleil est de laisser passer la chaleur en hiver et de la limiter au mieux en été. Puisque le soleil ne tombe pas en panne, comment utiliser sa course pour s’assurer d’apports énergétiques variables entre les saisons ? S’il s’agit d’un compromis, quel est son optimum ? Le design de la protection / apports solaires peut s’appliquer sur trois niveaux de résolution :
- Adapter le détail à l’orientation des façades pour maximiser l’écart entre facteur solaire d’hiver et facteur solaire d’été
- Ajuster le détail sur chaque face pour uniformiser les performances et prendre en compte les effets de masque
- Affiner le design de la surface des brise-soleil pour mieux gérer la réflexion de lumière et d’énergie.

Extrait de l’étude comparative de 3 000 configurations de brise-soleil, correction du facteur solaire et énergie incidente saisonnière.
La notion de « brise-soleil » s’étend désormais des résilles disposées au-devant des vitrages à tous les ébrasements des baies ou à tout relief de la façade. De même, nous pouvons continuer à explorer les composants mis de côté par la modernité comme les volets et en déduire de nouvelles formes.
Apporter des valeurs précises de coefficient de réduction du facteur solaire de baie au thermicien nécessite de réaliser des modélisations fines que ne permettent pas les méthodes de calcul de la RT ou les possibilités de modélisation des logiciels de calcul STD (simulation thermique dynamique). Il faut se réjouir, car les animaux et les végétaux apprécieront le retour de ces aspérités, et imaginer les solutions adéquates. Se préparer aux questions qui viennent est plus que jamais nécessaire.
Cet article est extrait du numéro 166 du magazine 5Façades disponible sur Calameo