Parce qu’il offre aux architectes et aux concepteurs une liberté créative sans précédent, tout en répondant aux exigences techniques, le béton dit « architectonique » est incontournable. Il continue d’évoluer, s’adaptant aux nouvelles tendances, aux réglementations et aux défis de l’architecture du 21e siècle.

Learning Centre at Quest, Chennai, Inde, KSM Architecture. Panneau de façade en béton renforcé de fibres (GFRC) coffré en bambou agissant comme une peau auto-ombragée avec une cavité d’air de 25 mm. Photo : Sreenag BRS
L’utilisation du béton comme matériau de construction ne date pas d’hier. Toutefois, ce n’est qu’au début du 20e siècle qu’il a commencé à être perçu non seulement comme un élément structurel, mais aussi comme un matériau doté d’une dimension esthétique. Le Corbusier a été l’un des pionniers de cette vision, intégrant le béton brut dans ses œuvres pour exprimer une esthétique épurée et fonctionnelle, notamment avec la chapelle de Ronchamp dans les Vosges. Ce mouvement, connu sous le nom de « brutalisme », mettait en avant l’apparence brute et non raffinée du béton, créant ainsi une nouvelle forme d’expression architecturale. L’aspect brut du béton, qui était autrefois considéré comme une marque d’authenticité et de modernité, a progressivement perdu de son attrait. Cette évolution a poussé l’industrie du béton préfabriqué à rechercher des techniques pour magnifier l’apparence du béton. Depuis les années 1960, il s’est imposé comme un matériau de choix pour les façades, non seulement en raison de ses qualités structurelles, mais aussi pour ses possibilités esthétiques. De fait, le béton dit « architectonique » désigne un ensemble d’éléments préfabriqués dont la forme, la finition, la couleur et la texture apportent une contribution essentielle au design de la façade. Ce matériau se distingue par ses possibilités quasi illimitées en matière de style, de couleur et de surface, permettant de créer des façades qui vont des reproductions de styles classiques aux bâtiments aux designs futuristes. Les éléments de béton architectonique sont également utilisés à l’intérieur des bâtiments, pour des fonctions décoratives et constructives, telles que des colonnes, des murs, et d’autres éléments structurels. L’une de leurs principales caractéristiques réside dans leur grande flexibilité.

Campus universitaire Georges-Méliès, Cannes, Architecture Christophe Gulizzi. Les façades nord, est et sud sont réalisées en béton architectonique. Elles sont non alignées, porteuses d’un niveau à l’autre et reprises par des poteaux ou des poutres. Photo : Juan Jerez
Dans les années 1960, l’accent était souvent mis sur la visualisation de la structure interne du béton, avec des finitions qui mettaient en valeur les granulats et le ciment blanc pour un aspect décoratif. Aujourd’hui, les préférences vont aux textures de surface qui imitent les matériaux naturels, comme la pierre, la brique ou même des finitions polies qui donnent au béton un aspect lisse et brillant. En plus de ces évolutions esthétiques, les avancées technologiques ont permis d’améliorer encore les possibilités. Par exemple, l’introduction du béton autocompactant a simplifié le processus de mise en œuvre, permettant de créer des formes plus complexes et des motifs plus détaillés. Cela a également rendu possible la production de petites séries, ce qui était auparavant économiquement difficile. Dans tous les cas, la composition du béton architectonique est étudiée pour répondre aux exigences esthétiques et fonctionnelles des projets. Le choix des ciments, granulats et pigments joue un rôle crucial dans l’apparence finale des éléments. Les ciments peuvent être blancs ou gris, en fonction de la teinte souhaitée, et les granulats, qu’ils soient roulés ou concassés, peuvent être sélectionnés en fonction de leurs propriétés esthétiques et mécaniques.
TECHNIQUES DU BÉTON ARCHITECTONIQUE
Selon les besoins du projet, le béton architectonique peut être mis en œuvre sur place ou préfabriqué en usine, chaque méthode ayant ses spécificités et ses avantages. Le choix entre les différentes techniques dépend des spécificités de chaque projet, que ce soit en termes de design, de logistique ou, bien sûr, de budget.
– Béton architectonique coulé en place : l’art du monolithe
Le coulage en place consiste à créer des éléments structurels directement sur le chantier, en utilisant des coffrages spécifiques, y compris matricés. Cette méthode est particulièrement adaptée pour les ouvrages de grande envergure nécessitant des éléments monolithiques, comme les murs, poutres, dalles, et autres structures portantes.
- Variété des finitions : Le béton coulé en place permet différentes finitions comme le brut de décoffrage, le béton désactivé, sablé, ou bouchardé. Cependant, certaines finitions plus complexes, comme le polissage, sont plus difficiles à réaliser sur place et peuvent nécessiter une préfabrication.
- Organisation du chantier : Cette méthode exige une préparation minutieuse du chantier, notamment en ce qui concerne le choix des coffrages, la gestion des armatures, et les conditions météorologiques. Une mauvaise gestion peut entraîner des défauts de surface et des variations d’homogénéité.
- Sécurité et expertise : Le coulage sur place nécessite une main-d’œuvre qualifiée et une organisation rigoureuse pour garantir la sécurité et la qualité du travail.
- Pas de place pour l’erreur : Le résultat doit être parfait du premier coup, car toute correction est difficile une fois le béton coulé.
- Conditions atmosphériques : Les conditions météorologiques peuvent affecter la qualité du béton, rendant son contrôle plus complexe.
– Béton architectonique préfabriqué : contrôle et flexibilité
Le béton architectonique préfabriqué est produit en usine avant d’être transporté sur le chantier pour y être installé. Cette méthode offre un contrôle qualité supérieur et une plus grande flexibilité dans la conception et la mise en œuvre des éléments de façade.
- Contrôle qualité : La préfabrication en usine permet de mieux maîtriser les conditions de production, garantissant ainsi des éléments de haute qualité.
- Variété des finitions : Comme pour le béton coulé en place, le béton préfabriqué offre une large gamme de finitions (brut de décoffrage, sablé, poli, etc.), mais avec une plus grande précision et une plus grande cohérence.
- Réduction des délais : Les éléments peuvent être produits en parallèle des travaux sur site, ce qui réduit les délais de construction. La possibilité de corriger les erreurs en usine avant livraison est également un avantage non négligeable.
- Logistique : Le transport et l’installation des éléments préfabriqués nécessitent une planification rigoureuse pour éviter les retards et les erreurs d’installation.
- Précision des liaisons : La réalisation des joints et des liaisons entre les éléments nécessite une grande précision pour garantir l’étanchéité et la stabilité de l’ouvrage.
– Béton architectonique non porteur préfabriqué : flexibilité séquentielle
Une autre approche consiste à utiliser du béton architectonique non porteur préfabriqué, qui peut être autoportant, suspendu ou utilisé comme élément de revêtement. Cette méthode offre une grande flexibilité, permettant aux travaux de se dérouler en séquence sans interférence.
- Mise en œuvre séquencée : Le béton non porteur est installé à la fin du gros œuvre, réduisant ainsi les risques de dommages ou de salissures pendant la construction.
- Polyvalence : Ces éléments peuvent servir de revêtement de façade ou de décoration intérieure, tout en offrant un excellent confort thermique et une isolation efficace.
- Couplage avec d’autres systèmes : Le béton non porteur peut être utilisé en association avec des murs-rideaux ou d’autres structures, augmentant ainsi les possibilités architecturales.
- Complexité des liaisons : Comme pour le béton porteur préfabriqué, la précision dans la réalisation des liaisons et des joints est cruciale pour garantir la performance globale de l’ouvrage.

Extension signée Hemaa Architectes d’une maison individuelle qui fait coexister deux architectures d’époques différentes dans un site à la topographie marquée. Les cadres des baies sont réalisés en béton architectonique blanc, les châssis sont en chêne naturel. Photo : Sergio Grazia
BÉTON CARBONE : LA RECHERCHE AVANCE
Pour réduire l’impact carbone du béton, particulièrement celui de son liant principal, le ciment, il est crucial de limiter les émissions de CO2 lors de sa production. Le clinker, composant clé du ciment, est responsable d’une grande partie de ces émissions, notamment à cause du processus de calcination, qui génère 60 % des émissions totales. Pour réduire ces émissions, les industriels explorent plusieurs stratégies, telles que l’utilisation de combustibles alternatifs et l’amélioration des procédés de fabrication.
Une des solutions envisagées, et déjà mise en œuvre, est de substituer une partie du clinker par d’autres liants, comme les ciments CEM III ou CEM V, qui intègrent des laitiers sidérurgiques ou des cendres volantes, réduisant ainsi la part de clinker. Ces ciments sont déjà utilisés. Cependant, leur utilisation sur chantier pose des défis, notamment en raison de leur montée en résistance plus lente.
Parallèlement, de nouveaux liants bas carbone, comme les géopolymères sans clinker, sont développés, offrant des réductions significatives des émissions de CO2. Hoffmann Green Cement Technologies, par exemple, propose un ciment géopolymère dont l’empreinte carbone est cinq fois inférieure à celle du ciment Portland classique.
Enfin, la recherche se concentre également sur des liants à base d’argile calcinée, promettant une réduction de 60 à 70 % de l’empreinte carbone, marquant une potentielle rupture technologique dans l’industrie du ciment.
Stéphane Miget
Cet article est extrait de 5façades n°168, disponible en version numérique