À Vitry-sur-Seine, au coin de la départe­mentale D7 et de la rue des Pépinières, les CFA Delépine (électricité, électrotechnique), Maximilien-Perret (couverture, plomberie, génie climatique) et Gestes Formation (second œuvre de finition) unissent leurs moyens pour créer l’Écocampus du bâtiment. Un ensemble architectural gouverné par les matériaux bruts, le bois, la brique et l’ETFE.

En 2014, lors du concours de maîtrise d’œuvre pour la réalisation de l’Écocampus du bâtiment du Grand Paris, Périphériques Marin+Trottin fut la seule agence à respecter la fragmentation des masses bâties et la trame dénuée d’angles droits du plan directeur de la ZAC Chérioux, qui, dessiné par SAA Architectes, résulte de transparences visuelles en direction de l’ancien orphelinat des années 1930. David Trottin, son cofondateur, revendique une manière de « faire avec la complexité des règles et des sites », une « soumission » nécessaire pour espérer une « ville moderne qui ne soit pas qu’une collection d’objets disparates ». Il n’en relève pas moins une congruence fructueuse avec ses aspirations : imaginer des formes urbaines au sein des projets d’architecture. « Dans les projets urbains, il est très difficile de retrouver ce que l’on aime dans la ville ancienne, à cause des prospects et des formes lâches, avance-t-il. C’est paradoxalement plus aisé dans une parcelle. » Et de résumer sa stratégie qui emprunte aux arts martiaux : « L’urbaniste a ses obsessions. On s’en est servi. Cela donne une qualité au projet : une sorte de microville. »

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 Les angles des bâtiments sont traités avec une pose en peigne, sans recoupe de matériau ni pièce spécifique.
L’ETFE est sérigraphié dans la partie « hors d’eau hors d’air » du projet. L’ETFE de la majeure partie de la rue couverte (à l’air libre) ne comporte aucune sérigraphie.

Dedans-dehors

Doté de 12 590 m2, l’Écocampus de Vitry-sur-Seine se structure autour de la rue couverte et du hall d’entrée qui la précède. Les ruelles transversales dessinent un village de six bâtiments, tous différents, en forme et en superficie. Comme dans la ville traditionnelle, les ateliers sont localisés au rez-de-chaussée. Les étages abritent principalement des salles de classe. Chaque année, 1 100 apprentis sont amenés à fréquenter ce centre de formation dédié aux métiers du bâtiment (électricité, plomberie-couverture, peinture), considéré comme le plus grand d’Île-de-France. Une aventure qui pourrait prochainement continuer de s’écrire, selon José Fonseca, directeur du projet pour la maîtrise d’ouvrage, puisque « des discussions sont en cours avec les métiers du fer et du bois » pour étendre l’établissement au nord de la parcelle. L’ambivalence intérieur-extérieur caractérise les spectaculaires séquences spatiales de la nourrice distributive du village. Les théâtralités – verticale dans le hall d’entrée en atrium, horizontale dans la rue couverte à l’air libre – usent de mises en forme analogues. Non chauffé, le hall est fait des mêmes matériaux que la rue : parements de briques, menuiseries en aluminium laqué, escaliers et passerelles en CLT et lamellé-collé, charpente de bois et couverture en ETFE (éthylène tétrafluoroéthylène). Quelques détails, néanmoins, distinguent subtilement le dedans du dehors. L’intériorité du hall est soulignée par un parquet de chêne de premier choix. La lumière s’y trouve tamisée par l’encombrement du monumental réseau d’escaliers et de passerelles qui se déploie sur six hauteurs d’étage. Des tables basses et des banquettes indiquent un climat favorable, où les apprentis peuvent se réunir et se reposer. « Les coussins d’air en ETFE limitent les déperditions en hiver » et « la ventilation naturelle est suffisante pour compenser l’ensoleillement d’été » (prise d’air en imposte du sas d’entrée, évacuation haute par un moucharabieh de briques), rassure David Trottin.

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 Le hall d’entrée en regardant vers la rue couverte.

Chêne-lie de vin

Héritée des prescriptions du plan de masse de SAA Architectes, la morphologie sobrement déstructurée de l’enveloppe légère en ETFE vise à créer un effet de contraste avec la massivité du bois et de la brique. Du côté de la départementale D7, une inflexion du plan de façade par rapport à la verticale entend donner de la profondeur au volume d’entrée. Les pentes de couverture sont généreusement données, afin d’écarter toute stagnation d’eau, potentiellement préjudiciable à l’étanchéité et à la bonne tenue des membranes. Aucune descente d’eau pluviale ne rature les espaces du hall et de la rue. Les évacuations sont réalisées au moyen des chéneaux de bas de pente, puis par les toitures-terrasses. Il est observé la même inclination pour les jeux géométriques à l’endroit de la trame et de la charpente. À la fois pour des logiques d’abstraction et de construction : « Une structure faite de parallèles aurait donné l’impression d’une simple couverture. Le dessin en losange permet de diminuer les sections de bois et de mieux reprendre les charges de vent », détaille le concepteur. Comme les escaliers et les passerelles, la structure en lamellé-collé d’épicéa a reçu un saturateur de teinte chêne, en adéquation avec la couleur lie de vin des briques (Wienerberger, collection Terca, dite « moulée main »). Ses assemblages ont été réalisés avec des ferrures en âme quasiment imperceptibles.

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 Les deux bâtiments sur rue sont reliés par un réseau de passerelles et d’escaliers.
 Le hall d’entrée en atrium.
 Un atelier de plomberie.
 La rue couverte en regardant vers le hall d’entrée.

Souplesse-agilité

David Trottin ne tarit pas d’éloges sur la souplesse d’emploi de l’ETFE : « Je n’aurais jamais fait ce projet avec du verre. Trop cher, trop de matière, trop de justifications structurelles ! », s’exclame-t-il. « D’aucuns pensent high-tech, mais c’est du low-tech ! Un coussin dégonflé rentre dans un sac à dos. La consommation électrique de la petite machine de soufflage peut être considérée comme négligeable, en comparaison de celle de la CTA. » Fabian Ascaso, chargé d’affaires de l’entreprise Iaso, spécialiste de l’architecture textile, rappelle, pour sa part, que l’ETFE est réputé ne souffrir « aucun jaunissement ni affaiblissement de ses propriétés mécaniques pendant plus de dix ans ». Il n’en est pas moins nécessaire de renouveler constamment l’air des coussins (grâce aux soupapes de surpression), afin d’évacuer « l’humidité qui pourrait détériorer les sérigraphies ». Deux manières de pose sont à distinguer dans le projet. En façade, la mise en œuvre fut simplement réalisée à la nacelle. Plus originale, celle de la couverture fut précédée par la fixation de filets circulables entre les poutres de charpente. Confrontée aux nombreux changements d’affectation des locaux par la maîtrise d’ouvrage, l’agence Marin+Trottin a une nouvelle fois pris le parti de la souplesse en ce qui concerne les façades de briques. Celles-ci sont imaginées de manière générique, comme du papier à musique, de sorte qu’il soit possible de chambouler les dispositions du programme, comme on changerait les notes d’une mélodie. Considérant le défaut de perpendicularité, les architectes ont traité les angles des bâtiments avec une pose en peigne, sans recoupe de brique ni pièce spécifique. Ce travail de modénature est reconduit par la mise en relief de certains plans de façade, où alternent les panneresses et les boutisses. Un clin d’œil à l’architecture sophistiquée de briques rouges de Jules Lavirotte et Henri Gautruche, les concepteurs du vaste orphelinat du domaine départemental Adolphe-Chérioux, que la Sadev 94 espère convertir en pôle d’emploi-formation-recherche.

Tristan Cuisinier

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ETFE SOUS AVIS TECHNIQUE

La mise en œuvre des façades et de la couverture en coussins gonflables d’ETFE est réalisée selon l’avis technique de l’entreprise Iaso, dont la maison-mère se situe à Lleida, en Espagne. L’ossature se compose de profilés en aluminium anodisé naturel, reposant sur des supports en acier galvanisé vissés sur la charpente. Un jeu de dilatation de 3 mm au minimum (joint EPDM) est requis entre chaque profilé. À l’inverse, les pièces d’angle (base et capot) sont systématiquement soudées pour assurer la continuité de l’étanchéité. Confectionnés dans l’atelier de Lleida, les coussins comportent trois membranes d’ETFE de 100 à 400 microns, selon les charges climatiques en présence. Soudés en rive avec un ourlet, ils sont dotés de Keder en PVC que les compagnons glissent dans des profils à crochet, avant clipsage dans les profilés d’ossature. Fabian Ascaso rapporte « une tolérance de montage de l’ordre de 20 à 25 mm », avant gonflage. Bien que dimensionnés pour résister à des chocs de 1 200 joules (chute d’un corps mou de 50 kg sur une hauteur de 2,40 m), les coussins gonflés d’air ne sont pas considérés comme circulables (déformation des membranes). Les opérations de maintenance peuvent être effectuées en marchant sur les coussins dégonflés (sous réserve d’évaluation des risques) ou sur les capots-serreurs équipés d’anneaux en inox (ligne de vie) et de câbles antivolatiles (système à ressorts qui se rétracte sous le poids de l’opérateur). Les ouvrages en ETFE ne nécessitent aucun nettoyage en raison des propriétés antiadhésives du matériau. Il est néanmoins préconisé de souscrire un contrat de maintenance (fonctionnement de la soufflerie, changement des filtres à air, inspection des membranes et des profilés). En cas de déchirure d’une longueur inférieure à 300 mm et de trou d’un diamètre inférieur à 40 mm, il sera procédé à une réparation définitive au moyen d’une rustine autocollante en ETFE. Au-delà de ces limites, la réparation sera considérée comme provisoire, avant remplacement du coussin endommagé.

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EMMANUELLE MARIN-TROTTIN ET DAVID TROTTIN, ARCHITECTEs

« Les CFA sont désormais subventionnés en fonction du nombre de leurs apprentis, ce qui les conduit à augmenter leurs effectifs. Cela me paraît de bon aloi. Actuellement, nous vivons une sorte d’archaïsme en embauchant des bras plutôt que des compétences. Si nous voulons des bâtiments moins consommateurs de matière et d’énergie, il faut des personnes qualifiées, conscientes du rôle qu’elles ont à jouer dans la transition écologique. La montée en qualité des bâtiments requiert de valoriser les apprentissages. Avec l’Écocampus, nous mettons l’équivalent d’une belle université au service de la formation. Je ne fais pas de distinction entre une faculté de droit et un CFA. Il faut que la qualité soit là, que la réalisation soit belle. Avec une spécificité pédagogique : montrer comment est fabriqué le bâtiment, c’est-à-dire privilégier les matériaux bruts et éviter les dissimulations. J’ai beaucoup d’admiration pour ceux qui travaillent sur les réseaux. Autant d’énergie et de savoir-faire doivent pouvoir se voir. Dans l’Écocampus, de nombreux réseaux sont apparents. Il eût été impensable de signifier aux jeunes en apprentissage que le travail dont ils auront la charge ne méritait pas mieux qu’un faux plafond. »

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 Ruelle transversale à la rue couverte, en regardant vers l’orphelinat.
 L’isolation extérieure permet de laisser « brut de béton » les intérieurs.

 


Maîtrise d’ouvrage : SCI Delépine Maximilien-Perret et SCI Écocampus

  • AMO : Orénoque
  • Architecte : Périphériques Marin+Trottin (Lalie Vaillant, Carole Charrier et Nicoletta Mosco, chefs de projet)
  • Bureaux d’études : Scoping (ingénierie), Étamine (HQE), Alternative (acoustique), Axio (économie)
  • Macrolot clos-couvert, gros œuvre : City construction
  • Entreprise ETFE : Iaso
  • Entreprise façades en briques : Byn
  • SHON : 12 590 m2
  • Livraison : septembre 2022

Cet article est extrait de 5façade n°158 > Découvrir le numéro en intégralité <